Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

YVES LÉVl" Il semble difficile de soupçonner d'intentions antidémocratiques un homme qui cherche à remplacer la confusion française par l'ordre britannique. Reste à savoir s'il est parvenu à instaurer chez nous cet ordre ou si quelque défaut dans l'architecture du système n'a pas dissimulé cette architecture aux yeux les plus avertis - ou qui devraient l'être - et ouvert la voie à des critiques incompréhensives. Et d'abord disons ce qu'est, dans ses lignes essentielles, l'ordre anglais. Les pouvoirs publics comprennent le souverain, le gouvernement, la Chambre des lords et la Chambre des Communes. La Chambre des Communes est élue au suffrage universel. Le souverain s'inspire du vote du pays pour choisir le Premier ministre, qui gouverne avec l'accord de la majorité des Communes, et décide lui-même du moment où il demandera au pays d'approuver au cours de nouvelles élections la façon dont ses affaires ont été gérées. Cette consultation a lieu dans un délai qui ne peut excéder cinq ans. Quant à la Chambre des lords, qui fut longtemps un pouvoir modérateur très actif, elle n'est plus, depuis un demi-siècle, qu'une survivance de médiocre importance. Ce système a connu une période de grande confusion pendant les vingt ans où trois partis se disputaient le pouvoir. C'était le temps où le parti travailliste croissait tandis que déclinait le parti libéral. Mais la brutalité dut scrutin anglais a fini par triompher de cette confusion. Bien des Anglais restent,._ inutilement, fidèles aux libéraux. D'autres, nombreux, s'abstiennent. D'autres, s'ils se résignent à voter pour les travai11istes ou les conservateurs, c'est sans joie et plus par souci d'écarter ce dont ils ne veulent pas que de favoriser le parti qu'ils choisissent. Quoi qu'il en soit, une majorité sort des urnes. Ce qui a deux conséquences. L'une est que le souverain ne peut pas exercer sa théorique faculté de choisir le Premier ministre : il lui faut désigner le chef de la majorité. L'autre est qu'assùré du concours de la majorité de la Chambre, le Premier ministre oriente l'œuvre législative aussi bien qu'il dirige l'administration. Le pouvoir appartient intégralement au Premier ministre. C'est en accord avec lui et le plus souvent sous son impulsion que s'accomplit le travail législatif du Parlement. Si l'on simplifiait à l'extrême, on pourrait dire qu'en Angleterre la nation vote pour se donner un chef dont le pouvoir, limité à cinq ans, peut être renouvelé avant l'échéance. Mais cette simplification même permet de marquer l'importance fonctionnelle du souverain et du Parlement. A aucun homme on ne peut sans péril confier un pouvoir absolu: aussi la Chambre des Communes exerce-t-elle en permanence une indispensable fonction de contrôle et de critique. D'autre part, la présence du souverainest essentielle et dans les périodesde troubleet de confusion - celles où le vœu du pays n'est pas clair, comme on vient de dire qu'il est arrivé - et Biblioteca Gino Bianco 261 lorsque le Premier ministre ne peut plus assumer les devoirs de sa charge. Ce dernier cas s'est présenté récemment, et si le choix de la reine a été discuté, il n'en a pas moins été tenu pour légitime par l'unanimité de la nation. A vrai dire, certains partisans de M. Butler ont alors considéré qu'il serait plus démocratique que le Premier ministre eût un dauphin officiel. Quand on établirait un système de ce genre, le souverain n'en resterait pas moins nécessaire pour garantir la légitimité dans les temps, qui peuvent toujours revenir, où le vœu de la nation est obscur. Et si l'on voulait éviter qu'un personnage héréditaire pût jamais avoir aucune influence sur la vie politique du pays, le seul moyen d'y parvenir serait sans doute d'institutionnaliser le système des deux partis, ce qui ne pourrait se faire sans grandes réflexions et précautions. On peut noter ici que c'est le bipartisme qui rend viable le système présidentiel américain, et que seul un esprit léger a pu s'aveugler au point de le préconiser chez nous. Lamartine, déjà, avait eu cette naïveté. Tel est, dans ses lignes essentielles, le système dont s'est inspiré, pensons-nous, M. Debré. Ce système ne conduit pas à une sagesse politique sans faille. On a vu le ministère anglais répondre à l'erreur de Laval signant les accords de Rome par une erreur parallèle : le traité naval avec Hitler. Naguère, le ministère anglais s'est associé au ministère français dans l'opération de Suez, qu'il ne fallait pas faire ou bien mieux étudier tant sur le plan diplomatique que sur le plan militaire. En 1940, il semble bien que l'Angleterre n'ait pas été sauvée par une défense mieux conçue, mais par des circonstances géographiques plus favorables et qui offraient de meilleures chances aux improvisations de l'héroïsme. Le système anglais n'implique même pas un respect sourcilleux des principes démocratiques sous tous leurs aspects, puisqu'on a vu récemment le Parlement anglais s'émouvoir, comme avait lieu de le faire pour son propre compte l'opinion française, d'actes contraires aux droits de l'homme. Mais ce système épargne à l'Angleterre nos incessants changements de régime - où se sont à plusieurs reprises englouties nos libertés - et lui donne cette dignité suprême de l'homme, qui nous a presque toujours été refusée : un régime politique où une pensée est mise en œuvre avec l'accord des citoyens. La fonction gouvernementale COMMENTM. Debré a transporté chez nous les institutions anglaises et dans quelle mesure il y a réussi, c'est ce qu'il convient de préciser maintenant. Non qu'on puisse se livrer ici à une ai1alyse approfondie de la Constitution : ce serait une œuvre de longue haleine. On n'en retiendra que la structure essentielle. De même qu'en Angleterre, nos pouvoir publics comprennent quatre organismes : 1 chef de l'État, le gouvernement et deux assemblées. Examinons d'abord le Sénat, qui jouait •

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