260 ou un maréchal, paravents d'un Laval, que d'être gouvernés par des hommes désignés par le suffrage universel. L'impuissance gouvernementale MAIS, dira-t-on, la nouvelle Constitution ne prévoit pas que nos gouvernants seront désignés par le suffrage universel : elle prévoit précisément le contraire. Le premier ministre est nommé par le président de la République, lui-même élu au suffrage indirect, et il a un pouvoir .de décision beaucoup plus grand que n'avait le président du Conseil, sans avoir besoin, comme celui-ci, d'être sans cesse approuvé par la majorité de la Chambre : une fois acquis le vote initial prévu par l'article 49, alinéa 1er (« Le premier ministre... engage devant l'Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme»), il lui suffit, pour se maintenir, de n'avoir pas la majorité contre lui. En apparence, ce système est beaucoup moins démocratique que celui des précédentes républiques. Mais ce n'est qu'une apparence. Il faut ici moins s'attacher à la lettre des constitutions qu'à leur fonctionnement réel. Ce que furent les gouvernements de la IIIe et de la IVe Républiques, on le sait assez : aucun chef issu des élections législatives n'a jamais eu une légitimité personnelle assez forte pour résister aux intrigues parlementaires. Les plus prestigieux ont parfois succombé le plus vite : Blum n'a duré qu'un an, Gambetta trois mois. Pendant leur passage au pouvoir, d'ailleurs, il leur était presque impossible d'agir. Chefs de coalitions, ils étaient paralysés par leurs ailes. Ils amorçaient à peine la réalisation de leur programme électoral. Parfois, comme M. Guy Mollet, ils y renonçaient dès le premier jour. Un groupe de pression, un complot de couloirs, une émeute les chassaient. Seuls ont pu agir efficacement certains de ces chefs improvisés de qui nous avons parlé et dont la désignation n'avait rien de spécifiquement démocratique. Et aucun n'a pu gouverner plus de quelques mois. Ajoutons que, sous la IIIe République, bien des gouvernements ont été victimes du Sénat, élu au suffrage indirect, et que sous la IVe le Conseil de la République avait reconquis la possibilité de mettre indéfiniment en échec la Chambre élue au suffrage universel direct. Bref, l'ancien système laissait au suffrage à deux degrés une puissance qui, considérable jusqu'en 1940, n'était pas négligeable ces dernières années, et surtout l'absence permanente d'une majorité cohérente dans la Chambre issue du suffrage universel direct n'a jamais permis à une équipe dirigeante de gouverner selon un plan concert~, préalablement approuvé par le pays. Un examen superficiel peut donner l'impression que le nouveau système instaure la stabilité de l'exécutif au prix d'un relâchement des liens qui existaient entre le gouvernement et la nation. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Un peu d'attention fait voir les choses sous un jour très différent. D'abord parce que - il ne faut pas se lasser de le redire - le lien entre le gouvernement et la nation était tout à fait fallacieux, ensuite parce que le nouveau système a été conçu, semble-t-il, pour créer une solidarité plus prof onde entre la nation et son gouvernement. L'exemple anglais ON SAIT que hormis le titre II, inspiré assez directement du discours de Bayeux, la Constitution de 1958 a, pour l'essentiel, été l'œuvre de M. Michel Debré. Pas plus que le général de Gaulle, M. Michel Debré ne s'est jamais référé à l'orléanisme ni· à la Charte de 1814. Sa pensée constitutionnelle a une tout autre source, et une source si manifeste qu'il est étrange qu'elle n'ait pas, semble-t-il, été utilisée pour l'interprétation de son œuvre constitutionnelle. Dès janvier 1945, dans Refaire la France, il se référait au système anglais, et cette année même, au ? moment de l'installation de la nouvelle Chambre, il a manifesté la constance de son attachement à ce système en s'efforçant de créer un fossé, ou du moins un couloir, entre deux fractions de l'Assemblée, dont l'une eût été la majorité, l'autre l'opposition. Voilà qui peut légitimement nous inciter à examiner dans quelle mesure M. Debré est parvenu à se conformer à son modèle, qui est - ~ il n'est pas inutile de le rappeler - un système dont le caractère démocratique est beaucoup plus évident que celui d'aucun des sytèmes jamais suivis en France jusqu'à présent. Mais d'abord il convient de noter une particularité curieuse : c'est que M. Debré a, sur le plan théorique, des idées rigoureusement opposées à celles du général de Gaulle. Opposées, non pas contradictoires, car les unes et les autres, on le verra, ont fait assez bon ménage dans notre actuelle Constitution. Le général de Gaulle pense · que nous avons une propension congénitale aux divisions et aux querelles, et qu'il faut adapter les institutions à ce tempérament national. C'est pourquoi la stabilité gouvernementale ne peut s'obtenir que par un renforcement de l'exécutif et une rigoureuse séparation des pouvoirs. M. Debré, au rebours, est convaincu que ce sont nos institutions qui nous ont faits ce que nous sommes, et que des institutions mieux conçues triomp.heront de cette anarchie qui a, jusqu'à présent, dominé notre vie politique. D'autre part, en ferme partisan de la Constitution anglaise, il ne peut manquer de souhaiter ce gouvernement de cabinet solidement appuyé sur la majorité de la Chambre qui supprime le problème de la séparation des pouvoirs : à partir du moment où le pays envoie à la Chambre une majorité cohérente - comme c'est presque toujours le cas en Angleterre - le chef de la majorité devient automatiquement chef du gouvernement. Ainsi l'élection des représentants assure la formation du gouvernement, et il y a harmonie nécessaire entre les deux pouvoirs.
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