• 262 sous la. IIIe République un rôle beaucoup plus actif que la Chambre des lords et à qui, sous la IVe République, le rétablissement de la navette permettait de retrouver une fonction modératrice importante. Le Sénat a vu ses pouvoirs considérablement réduits et tout est même prévu (article 45) pour qu'il ne puisse faire obstacle plus de quelques jours à une entente entre la majorité de la Chambre et le gouvernement. Ce statut nouveau du Sénat est un point capital et on peut le considérer comme la pierre de touche des intentions qui ont présidé à la rédaction de la Constitution. Issu du suffrage indirect, le Sénat a toujours été tenu pour une assemblée plus modérée que la Chambre des députés. Que des gens qui ne passent pas pour être de gauche aient résolu de l'abaisser montre très clairement qu'ils ont songé non à faire œuvre de conservation sociale, mais à résoudre le problème de l'action gouvernementale. Nous avons vu ce qu'est, en Angleterre, le jeu des trois autres pouvoirs. Lorsque la nation donne la majorité à un seul parti, ce qui est le cas habituel, le gouvernement dirige le Parlement . et l'administration, et le so11verain semble inutile. Lorsqu'il n'y a pas de majorité, l'importance du souverain s'accroît : c'est lui qui donne la légitimité au Premier ministre en l'absence d'une claire légitimité venue de la nation. Au ·centre du jeu est le gouvernement et la question est de savoir si l'investiture lui viendra d'en haut ou d'en bas*. Il est cependant certain que l'action gouvernementale est malaisée lorsqu'il n'y a pas de majorité aux Communes, et l'on a vu il y a quelque trente ou trente-cinq ans les querelles des partis paralyser le ministère. Le centre du jeu tend à se déplacer d'un lieu où peut se ma nif ester une pen.sée vers une arène où ne règnent que des passions confuses. Notre Constitution tend visiblement à placer, à l'instar de l'Angleterre, le gouvernement au centre du jeu. C'est de lui que relèvent désormais toutes les affaires proprement politiques. Aussi le domaine de la loi - qui, au temps de la domination du Parlement, tendait à tout envahir - a-t-il été limité aux règles et principes les plus généraux. Le travail législatif lui-même . est orienté par le ministère. La fonction gouvernementale, fonction fondamentale entre toutes, est enfin sainement conçue. D'un côté du gouvernement se trouve l' Assemblée nationale - qui, comme en Angleterre, conserve essentiellement un pouvoir de contrôle, - de l'autre le chef de l'Etat, qui est explicitement le recours suprême en période de crise, comme l'est implicitement le souverain en Angleterre. * Il va de soi que, ni ici ni plus loin, ces mots de haut et de bas, de supérieur et d'inférieur n'impliquent aucun jugement de valeur. Il s'agit simplement d'une image architecturale, et si le peuple est en bas et le souverain en haut, c'est qu'on n'a pas l'habitude de voir les pyramides sur la pointe. BibliotecaGinoBianco f LE CONTRAT SOCIAL Mais il y a cependant d'assez sérieuses différences: les fonctions des trois organismes qui constituent les pouvoirs publics - chef de l'État, chef du gouvernement, Parlement - sont pour la première fois conçues en France comme en Angleterre, mais leurs rapports ne sont pas les mêmes. Cela vient de ce que la matière elle-même est différente. En Angleterre, il y a habituellement un parti majoritaire, et il soutient fidèlement le ministère, dont le chef est son propre chef. La situation de crise, exceptionnelle, est créée par l'absence d'un parti majoritaire, et le recours au souverain consiste en ceci que c'est lui qui, par son choix, donne-alors la légitimité au chef du gouvernement. Ce qui est en Angleterre l'état de crise est, en France, l'état normal. De sorte qu'il a toujours fallu confier au chef de l'État la désignation du chef du gouvernement. Cette désignation devait être ratifiée anciennement par les deux Chambres, aujourd'hui par la seule Chambre issue du suffrage universel direct. Le chef du gouvernement fran- ~ çais n'a donc jamais eu ni ne possède à présent cette légitimité nationale qui appartient normalement au Premier ministre anglais. Sa légitimité, hybride, lui vient à la fois du chef de l'Etat, qui le crée, et de l'Assemblée de contrôle, qui consent. Si ce qui est crise en Angleterre est état normal en France, l'état de crise en France va beaucoup au7delà : selon la gravité de la situation, les cadres constitutionnels se craquellent ou s'effondrent. Mais l'objectif est toujours le même : il s'agit d'en finir provisoirement avec les divisions qui font obstacle à la fonction gouvernementale et de -confier le pouvoir à une personnalité jouissant d'un respect unanime (bien que parfois injustifié) ou d'une faveur passagère. Bref, si ce qui est l'état de crise en Angleterre est l'état normal chez nous, notre état de crise tend à recréer artificiellement les conditions gouvernementales qui en Angleterre sont normales. · De 1926 à 1958, nous avons, à bien voir les choses, connu sept crises de ce genre, qui ont amené au pouvoir Poincaré, Doumergue, Pétain, ·1e général de Gaulle, Blum, Mendès France, et de nouveau le général de Gaulle. Et. quand on contesterait qu'un ou deux de ces cas relèvent exactement du type que nous définissons, il en resterait suffisamment pour qu'on puisse poser que notre système -amenait périodiquement au pouvoir des chefs dont les opinions n'étaient pas celles de la majorité parlementaire, et qui néanmoins gouvernaient avec plus d'autorité que c~ux dont la nomination était plus conforme à l'esprit de la Constitution. Tout cela entraîne deux conséquences. Puisque l'état de crise anglais est notre état normal, notre chef d'État exerce normalement la faculté de choix doht le souverain anglais ne peut faire usage qu'en temps de crise. Et puisque nos crises sont souvent assez graves pour mettre en péril tout l'édifice constitutionnel, le chef de l'État se voit confier pour ces occasions des pouvoirs analogues à ce~x du dictateur sous la république
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==