YVES LÉVY général de Gaulle ? Il faisait une analyse de la situation politique, et indiquait la solution qu'à • • • • • son avis cette situation 1mposa1t. L'essentiel de l'analyse tenait dans ces quelques lignes : La rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question, et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'État. Et voici les fondements de la solution proposée: Il est nécess1ire que nos institutions démocratiques nouvelles compensent, par elles-mêmes, les effets de notre perpétuelle effervescence politique (...) Certes, il est de l'essence même de la démocratie que les opinions s'expriment et qu'elles s'efforcent par le suffrage d'orienter suivant leur conception l'action publique et la législation. Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés, et qu'au-dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons. Un peu plus loin, le général de Gaulle définissait, conformément à ces vues, les fonctions d'un président de la République qui pût « servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques ». Les dispositions qu'il prévoyait ont été, pour l'essentiel, reprises dans le titre II de la Constitution de 1958. IL. EST à peine besoin d'observer que, s'il y a orléanisme dans la pensée du général de Gaulle, il s'agit d'un orléanisme tout à fait inconscient. Il est parfaitement clair qu'il n'est pas du tout animé par des intentions théoriques et réactionnaires, qu'il analyse en technicien un problème politique et lui cherche une solution technique. Sur deux points seulement sa pensée prend un caractère théorique. Dans l'analyse de la situation - c'est-à-dire dans la position du problème - il parle du « tempérament national » ( et ailleurs de « notre propension gauloise aux divisions et aux querelles ») ce qui écarte l'opposition traditionnelle et traditionaliste (où excellait Pétain) entre l'immoralité contemporaine et le bon vieux temps. Il ne s'agit pas à ses yeux de revenir en arrière, mais de résoudre un problème qui n'a jamais été bien résolu. Cette première vue théorique écarte donc tout le système habituel sur lequel se fonde la pensée de droite. La seconde vue théorique est dans l'énoncé de la solution : « tous les principes », dit le général de Gaulle, comme toutes les expériences, exigent la séparation des pouvoirs. On reparlera plus loin de ces « principes ». Disons seulement que cette position théorique tend à écarter toutes les obJections théoBiblioteca Gino Bianco 259 riques de la gauche : c'est elle-même qui a, contre le pouvoir absolu, exigé la sép1ration des pouvoirs. On voit donc le général de Gaulle s'efforcer de neutraliser les passions de droite et de gauche pour faire prévaloir un point de vue technique. Que cette solution technique ait quelque· ressemblance avec l'orléanisme, cela peut être. Mais les dissemblances sont telles qu'il faut se résoudre à tenir pour arbitraire toute assimilation téméraire. Il vaut mieux essayer d'abord de comprendre la pensée de l'auteur, et c'est ensuite qu'on verra s'il convient de glisser son système dans un tiroir déjà occupé et étiqueté de la grande armoire aux théories politiques. Or cette pensée, on vient de le voir, est d'une extrême simplicité. Nous sommes vou~s, en matière politique, aux divisions et à la confusion. Cette confusion menace sans cesse de nous livrer à un régime dictatorial (ceci est dit, avec référence à Hitler et à Franco, dans un passage qui se trouve entre ceux qu'on a cités). Le seul moyen d'éviter ce péril, c'est de prévoir une direction ferme à l'intérieur même du régime. Si nous cherchons à comprendre ce raisonnement à la lumière de nos analyses précédentes, nous pourrons noter que la France a connu à peu près autant de sauveurs que l'Angleterre de Premiers ministres ou l'Amérique de Préside11ts. Mais nos sauveurs ne règnent que quelques mois, puis nous retournons à une confusion qui exige bientôt un nouveau sauveur. On a fait état plus haut de Poincaré, Doumergue et quelques autres. Mais à bien voir les choses, il n'est pas rare qu'un président du Conseil issu du Parlement fût lui-même un sauveur plutôt que le chef naturel d'une majorité parlementaire : tels Clemenceau pendant la première guerre mondiale, ou récemment Mendès France, hommes providentiels auxquels la Chambre n'avait recours qu'à son corps défendant, dont les vues politiques, dans presque tous les domaines, lui déplaisaient, et qu'elle se hâtait d'éliminer lorsqu'ils avaient résolu le problème que le jeu normal du système ne permettait pas de résoudre. Bref, si l'on aperçoit le fonctionnement réel de notre système politique, on est conduit à penser que l'intention fondamentale du général de Gaulle a été de faire gouverner le pays par des dirigeants issus du système constitutionnel et non par des hommes choisis au hasard dans le tourbillon des crises, et qui pouvaient être des Clemenceau, mais qui ont été aussi des Pétain. N'oublions pas que notre première République s'est terminée par un Bonaparte, la seconde par un autre Bonaparte, la troisïme par Pétain. Et s'il y a un miracle, c'est que la quatrième ne se soit pas terminée par un colonel ou un général d l'armée active, mais par un homme qui pour la première fois en cent soixante-dix ans a posé le problème du gouvernement démocratiqu sous son asp et essentiel, qui se trouve par malheur êtr le plus ignoré. Nos ~émocrates restent convaincus qu'il est plus démocratique d'être sauvé tou les trois ou quatre ans par un sage de Tourn~ uille •
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