Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

258 d'un homme. Si d'ailleurs trois fois une perversité habile aidée d'une fraction de l'armée avait pu chez nous s'emparer du pouvoir, il faudrait nécessairement en inférer que nos régimes républicains laissaient souvent la porte ouverte à une action de cette sorte. Quoi qu'il en soit, ce qui .. est alors à analyser, ou du moins ce qui est à , analyser d'abord, ce n'est point l'homme, son habileté, ses intentions sages ou perverses, mais les circonstances qui lui permettent d'agir : cette matière, comme dit Machiavel, qui lui offre l'occasion d'imposer la forme qu'il a conçue. Or qu'il s'agisse de la Première, de la Seconde ou de la Quatrième République, cette matière, c'est un état de grande confusion politique. De cette confusion, de ses sources, il ne peut être question de faire ici une analyse approfondie. Notons-en cependant le trait le plus caractéristique : dans les trois cas, l'avenir du pouvoir est incertain. Quelques-uns seraient tentés de dire que la gauche se sentait solidaire du régime et que la droite cl1erchait à le transformer, mais il s'agit là d'une illusion de la gauche, née sans doute des proscriptions du Prince-président. En fait, dans des proportions divèrses selon les époques, et la droite et la gauche comptent des partisans et des adversaires du régime. Mais chez les partisans règne l'insatisfaction, ils ont la conviction que le système doit être modifié. Et parmi les adversaires, aucun groupe ne se sent assez fort pour être assuré qu'un bouleversement se ferait à son profit. Dans ce trouble, où chacun attend et craint les nouveautés, un chef paraît, dont l'habileté est de rassurer le grand nombre et de ne désespérer personne. Ceux qui savent ce dont ils ne veulent pas voient écarter du pouvoir l'adversaire de qui ils redoutaient le succès. Ceux qui savent ce qu'ils veulent imaginent que les nouveautés laissent la porte ouverte à de nouveaux changements dont ils seront les bénéfi- • • c1a1res. Ainsi en fut-il au Dix-huit Brumaire, au DeuxDécembre, et l'an dernier. Mais il est clair que l'analogie est dans la situation historique, nullement dans les intentions du principal acteur. La situation historique elle-même - une grande confusion politique à qui un homme ayant quelque prestige est chargé d'apporter une solution_ - s'est présentée très fréquemment chez nous. De notre temps notamment, nous· avons vu la chose se produire en 1926 et en 1934. Mais· une analyse un peu minutieuse de nos structures politiques montrerait que nos républiques ont toujours vécu dans la confusion, et qu'à de certains moments chaque gouvernement nouveau était te,nté de penser que sa formation venait de sauver le régime. Le mal dépasse même la république : il est celui de tous nos régim-es parl~mentaires. Benjamin Constant écrivait déjà : Chaque année quelques jour.; avant l'ouverture de la session des Chambres, 1'011 dit et l'on imprime que cette session sera décisive, que des questions fondamentales vont être agitées, que le salut de la France est entre les mains de ses représentants.· En Angleterte, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL l'on attend la convocation du Parlen1ent avec curiosité, avec intérêt, mais sans inquiétude ... Cent quarante ans plus tard, l'Angleterre continue à attendre dans le calme la réunion de ses Chambres, et nous ne cessons de vivre dans la fièvre, nous ne cessons de sentir que juste en ce moment les grands principes sont en cause et que, mobilisés en permanence pour la défense de nos libertés, il nous faut chaque jour revivre la prise de la Bastille et la nuit du 4 août. A bien voir les choses, donc, il apparaît que la référence aux Bonapartes, aux régimes plébiscitaires, est un simple produit de la p~ssion politique. Le rôle historique joué l'an dernier par le général de Gaulle pourrait aussi bien se mettre en parallèle avec celui de Poincaré ou de Doumergue. La structure historique des évé-. nements ne cesse en effet d'être la même. Mais la réponse diffère parce que les temps ont changé, et surtout parce que l'homme est différent. Il n'est pas nécessaire de marquer ce qui distingue .. le général de Gaulle de Doumergue et de Poincaré - la distance est si grande que personne ne s'est avisé, semble-t-il, de faire un semblable rapprochement, - mais il n'est pas inutile de souligner que si l'on a évoqué les Bonapartes, les auteurs mêmes de ce parallèle en ont pressenti la vanité, puisque tel a parlé <l'Empire parlemen- .taire, tel autre d' orléanisme. Or si les situations - "la confusion· politique - ont une analogie certaine, il n'est pas_ douteux que les hommes ne pourraient être comparés que par leur action. Le général de Gaulle a exercé l'an dernier une fonction historique analogue à ce qu'en d'autres temps ont fait Poincaré ou Doumergue, ou les Bonapartes, oncle et neveu. Mais sa conception de la situation et de la solution qu'elle appelle n'a pas de rapport avec celle d'aucun d'entre eux. S'agit-il donc d'un orléanisme ? La fonction présidentielle · · ÜRLÉANiSME, ce mot a été lancé par un adversaire politique - conime- une_ injure - plutôt que par . un théoricien du droit constitutionnel, comme le fruit d'une analyse réfléchie. Il signifie que-nos dirigeants sont en retard sur cette horloge de !'Histoire qui . donne apparemment l'heure exacte dans les salles de cours de nos facultés de droit. A la vérité, de même que l'allusion aux Bonapartes empruntait à la situation un semblant de justification, le terme d'orléanisme, s'il décrit mal ce qui s'est fait, ne laisse pas d'y trouver une ombre de fondement. On dira ailleurs ce qu'il faut penser de ce terme, lancé un peu au hasard, -et -sans que sa signification historique soit parfaitement claire aux yeux de celui qui l'emploie. - Notons seulement ici que- c'est le discours de Bayeux du 16 juin 1946 qui est à l'origine de cette définition sommaire, comme aussi la Constitution ·de 1958 dans la mesure où plusie'urs de s-es-articlès reflètent les suggestions de ce discours. Que disait donc ce jour-là le

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