1"ev11!etistori'lue et critiqi,e Jes /ails et Jes idées SEPTEMBRE 1959 Vol. III, N° 5 . ' LA Ve RÉPUBLIQ!IE par Yves Lévy ES FIGURES historiques se manifestent deux fois, écrivait Marx, citant Hegel, qui luimême, contemporain de la Révolution et de l'Empire, ne pouvait ignorer Plutarque. Marx ajoutait : « La première fois c'est une tragédie, la seconde fois c'est une farce. » C'est à peu près ce que semble penser de notre jeune ve République le plus fringant de nos constitutionnalistes lorsque, outre les souvenirs plébiscitaires, il distingue dans notre nouveau régime un orléanisme bien conditionné et s'afflige de nous y voir livrés de nouveau et si tard, comme si nous étions les demeurés de !'Histoire. Il est courant de faire appel à l'histoire faite pour rendre compte de l'histoire en train de se faire. On évoque Jeanne d'Arc. On dit : nous sommes en 1788. On désigne de nouvelles Bastilles. On pèse les chances d'un Deux-Décembre, d'un Boulanger. Si l'on revit si volontiers les vieux enthousiasmes et les vieilles querelles, c'est pour enflammer de jeunes ardeurs en leur rappelant - utiles images d'Épinal - les victoues passées des grands ancêtres. Images fallacieuses, car le plus souvent ils ne sont pas les vrais ancêtres de ceux à qui l'on parle, et ce n'est pas la même cause qui est en jeu. Au vrai, c'était une autre histoire entre d'autres personnages. Et pourtant, le moyen de résister à la tentation ? Est-ce un nouveau soleil qui chaque matin nous éclaire ? Nos pas d'aujourd'hui, ne les mettonsnous pas sur la trace de nos pas d'hier ? Et si parfois nous invoquons l'histoire à contreteml's, n'arrive-t-il pas qu'elle s'impose à nous irrésistiblement ? , Biblioteca Gino Bianco Oui sans doute. Encore convient-il de ne pas user sans précautions des modèles historiques. Il ne nous est guère possible de comprendre le présent - c'est-à-dire le combat où, acteurs ou spectateurs, nous sommes plongés - sans aucune référence au passé. Si elle n'était nourrie d'histoire, la réflexion serait désarmée pour analyser ce qui se passe de notre temps. Cependant, sont-ce des arguments pour notre réflexion que nous allons d'ordinaire chercher dans notre mémoire ? Non. Mais des aliments pour nos passions. Et celles-ci ont la partie facile. L'histoire n'est pas le domaine de la sérénité : elle est un arsenal où chacun va choisir des armes. Chacun se réclame d'une tradition, les révolutionnaires aussi bien et peut-être plus encore que les autres, chacun distingue une lignée des bons, dont il est le représentant actuel, et la lignée des méchants qui a produit son adversaire, lignée qui a pu avoir sa raison d'être et sa grandeur, concède le philosophe de l'histoire, mais qui, ajoute le polémiste, se termine en farce sous nos yeux. Analogies des crises françaises CE QUI favorise l'utilisation passionnelle de l'histoire, c'est l'évidence même des analogies historiques. Quand un général prend une place éminente dans la vie politique, quand il jouit d'un immense prestige, quand il fait procéder à un référendum et que ce référendum affermit son pouvoir, comment ne pas évoquer l'ombre des Bonapartes, le régime plébiscitaire ? Prenons garde cependant que la véritable analogie historique ne se situe pas dans la perverse habileté •
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