Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

A. DE TOCQUEVILLE plan et qu'à y introduire une division du travail plus favorable à l'intérêt des lettres et des sciences. En lisant le décret lui-même, on s'aperçoit que nous n'existons plus, et qu'on nous a tués doucement par prétérition. On voit également, par le rapport, que l'idée originaire du ministre était de revenir purement et simplement à l'ancienne organisation académique, non-seulement aux choses, mais aux noms ; en un mot, de faire en I 803 ce que Louis XVIII fit en I 8 I 6, de renouer la chaîne des temps, comme dit plus tard celuici. Le Premier Consul accepta les choses, mais rejeta les mots. M. de Fontanes, qui restait fort amoureux du passé, et était ce qu'on eût appelé dans le jargon moderne un grand réactionnaire, le pressait de donner de nouveau aux classes le nom d'Académie ; on assure qu'il lui répondit : Non! point d'Académie! cela serait trop Bourbon. Ainsi finit la classe des sciences morales et politiques. Elle fut ensevelie comme toutes les libertés · publiques dans le drapeau de Marengo. C'était du moins un glorieux linceul. On ne la vit renaître qu'après que la France fut redevenue libre. Même dans les temps qui lui sont le plus favorables, l'Académie est placée entre deux écueils. Elle doit craindre également de sortir de sa sphère et de s'y tenir inactive. Nous ne devons jamais oublier, messieurs, . , , que nous sommes une soc1ete savante et non point un corps politique : la sécurité et la dignité de nos travaux en dépendent. Cette ligne de démarcation entre la théorie et la pratique est, il faut l'avouer, plus facile à tracer qu'à tenir. Telle question semble, au premier abord, purement théorique, qui, répondant aux passions du moment, se tourne • • Biblioteca Gino Bianco 30S facilement en question de faits et en instrument de parti; car nous sommes un peuple raisonneur et bel esprit où l'on fait volontiers servir les théories les plus subtiles à la satisfaction des appétits les plus grossiers, et où l'on enveloppe souvent d'assez vilaines actions dans de fort beaux mots. Il y a donc des matières politiques qui appartiennent par nature à la pratique et d'autres qui y sont attirées par occasion ; l'Académie a su éviter, avec une réserve qui lui fait honneur, les unes et les autres. Elle s'est tenue fermée dans la sphère des théories. Elle a fait plus, elle s'est efforcée d'y attirer les esprits ; si elle n'y a pas toujours réussi, il ne faut pas trop s'en étonner. On pourrait croire que c'est dans le temps où les hommes se mêlent tous de gouverner que la science abstraite du gouvernement est le plus et le mieux cultivée. Le contraire serait pl11sprès de la vérité. Les plus grands publicistes qui aient paru dans le monde ont pïécédé 011 suivi le siècle des libertés publiques. Aristote écrivait sur la république à la cour d'Alexandre ; l' Esprit des lois et le Contrat social ont été composés sous des 1nonarchies absolues. Ces livres nous ont faits • • ce que nous sommes, mats nous serions probablement incapables de les faire aujourd'hui. Le fait détourne sans cesse de l'idée, la pratique de la science, et la politique finit par n'être plus qu'un jeu de hasard où, de plus, les dés sont souvent pipés. C'est dans le but d'attirer vers la politique spéculative les esprits que distraient lè bruit des partis et le soin des affaires que l'Académie a fondé des concours et distribué des prix annuels aux écrivains qui s'y sont distingués. Juger ces concours, distribuer ces prix, est l'objet qui nous réunit aujourd'hui ... ALEXIS DE TOCQUEVILLE. •

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==