.Débats et zecherclaes • • ÉVOLUTION DE L'ÉCONOMIE MARXISTE par Lucien Laurat , u COURS des dernières années on a vu se multiplier les études consacrées au marxisme en général et à l'économie marxiste en particulier. Cette redécouverte tardive d'un auteur qui, voici ·vingt ans .encore, passait pour mort et enterré, tient à des causes diverses. Certains écrits de Marx datant ·des années 40 ne sont accessibles aux lecteurs français que depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ; depuis lors, les élucubrations de certain chef de parti sur la « paupérisation absolue » ont suscité de vaines discussions ; la légende de l' édification « socialiste » en URSS incline des auteurs d'ordinaire mieux inspirés à rechercher la clé de soi-disant succès dans la doctrine bolchévique, rattachée à tort au marxisme. Ces auteurs ignorent de toute évidence que la prétention de réaliser le socialisme dans l'un des pays les plus arriérés de l'Europe est une rupture brutale avec tout ce que le marxisme a toujours enseigné 1 . On assiste ainsi à une véritable cacophonie : commentaires sur les écrits de jeunesse d'un Marx qui ne faisait qu'ébaucher ce qui deviendrait du marxisme vingt ans plus tard; controverses sur ce que Marx a dit d'un capitalisme aujourd'hui . révolu ; lamentations sur l'« aliénation», concept philosophique étranger à la théorie économique marxiste. Pour couronner le tout, on s'interroge gravement sur les conceptions « marxistes » des économistes soviétiques contemporains, sur les derniers « enseignements » de Staline (son article de 1952) et sur les «idées» exposées dans le Manuel d'économie politique publié à Moscou en 1954. 1. Cette rupture ne fut d'ailleurs ni bien tranchée ni consommée du jour au lendemain. Jusqu'en 1922, Lénine, Trotski et Boukharine cherchèrent des justifications sinon des excuses à leurs ambitions démesurées de 1917-18. On trouvera quelques citations illustrant les fluctuations de leur pensée dans notre ouvrage Bilan de vingt-cinq ans de plans quinquennaux (pp. 13-16 et 22-27), ainsi que dans notre étude « Les théoriciens marxistes contre la révolution soviétique» (Est et Ouest, n° 180, pp. 70-74). Biblioteca Gino Bianco Pareille « marxologie » ne mérite pas d'être prise en considération. Seuls les travaux de Maximilien Rubel font exception, en confirmant la règle. Que des hommes désireux de savoir manquent de discernement au point de prendre des écrits de propagande pour des- productions théoriques a de quoi surprendre. Pour se limiter au Manuel d'économie politique, on y enseigne qu'« en Angleterre, aux États-Unis, en France, en Italie et dans d'autres pays capitalistes, le salaire réel au xxe siècle est plus bas qu'::\Umilieu du x1xe siècle» et qu'« en France et en Italie le salaire réel de 1952 représente moins de la moitié de ce qu'il était avant la guerre » 2 , affirmations péremptoires qui ne s'accompagnent d'aucune référence. Tout lecteur sérieux se jugera suffisamment «instruit» et ne se résoudra à rouvrir un tel livre que pour y rechercher des affirmations qui ne ressortissent pas à la science économique, non plus qu'à la science tout court. UN RAPIDE coup d'œil sur les publications soviétiques parues depuis l'accession de Staline au pouvoir sans partage suffit pour se convaincre que depuis trente ans il n'existe en URSS ni science sociale ni science économique. Du vivant de Lénine et même jusqu'en 1927 les dirigeants soviétiques s'efforcèrent de définir leur politique en fonction de l'étude objective de la situation économique ; leurs analyses, même imparfaites, voire erronées, méritaient pour cela d'être prises en considération. Mais après l'avènement de Staline, c'est la politique voulue par le despote qui prime tout, et la seule mission des économistes et des théoriciens consiste à lui fournir une / justification a posteriori. Il s'agit de rassembler 2. Polititcheskaia Ekonomiia. - Outchebnik (Moscou 1954, Gospolitizdat), pp. 143 et 292.
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