Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

304 responsables. Mais à peine la Terreur eutelle cessé, que les sciences morales et politiques redevinrent aussitôt en grand honneur, et furent, il faut le dire, l'objet d'une préférence injuste ; car dans la création de l'Institut, qui eut lieu alors, on_fit une classe à part pour elles, tandis qu'on en refusait une aux belles-lettres : étrange ingratitude d'une génération que la littérature avait nourrie et conduite au pouvoir! La révolution continua son cours, mais la liberté revint bientôt en arrière : car révolution et liberté sont deux mots qu'il faut tenir soigneusement séparés dans l'histoire. Le Premier Consul, qui personnifiait et continuait à sa manière la Révolution française, mais qui n'en était pas moins l'un des plus grands adversaires que la liberté humaine ait jamais rencontrés dans le monde, le Premier Consul ne tarda pas à voir de trèsmauvais œil l'Académie, ou, comme on le disait alors, la classe des sciences morales et politiques. Elle était alors composée, il est vrai, presque exclusivement d'hommes politiques qui avaient joué différents rôles dans les événements précédents. On y comptait Cabanis, Daunou, Merlin de Douai, Dupont de Nemours, Cessac, Roederer, Sieyès, Talleyrand, Lebrun, depuis duc de Plaisance, Destutt-Tracy. Elle avait pour associé étranger l'illustre Jefferson, alors président des ÉtatsUnis d'Amérique, ce qui n'était pas un grand titre de recommandation auprès du premier magistrat de la République française. Mais, quoique composée de personnages fameux, elle ne tendait qu'à se faire oublier; voyant l'esprit du maître, que ne contenait plus ·l'esprit du temps, elle resserrait et obscurcissait volontairement sa sphère ; on le reconnaît bien en parcourant ses derniers travaux. En histoire philosophique, elle s'occupait du gouvernement de la France sous les deux premières dynasties ; ··cela·· ne· semblait pas dévoir la ·compromettre. Cependant, pour plus d'innocence ·énèore, elle· crut · devoir remonter ju~qu'àux Pharaons;· on la trouve employant ses dernières séances à écouter M. de Volney, chargé de donner, dit le procès-verbal, des renseignements intéressants sur les tuniques des momies· égyptiennes. . .. En morale, M_.Dupont de Nemours lisait cles Mémoires sur l'instinct, lequel étant commun aux hommes et aux bêtes; ne pouvait guère inquiéter le gouvernement. En économie politique, on s'occupait de la crue et de la diminution journalière de la Seine. - · Biblioteca Gino Bianco PAGES OUBLIÉES Et en politique proprement dite, on ne s'occupait de rien. Le public la traitait un peu comme elle se traitait elle-même ; elle n'attirait pas plus les idées sérieuses du dehors qu'elle ne les agitait dans son sein. On ne voit figurer dans ses derniers procès-verbaux que le titre d'un seul ouvrage de quelque étendue, dont il lui fut fait hommage ; il est intitulé : Cours de morale à l'usage des jeunes demoiselles, par le citoyen Almaric. Tout cela ne paraissait pas bien redoutable, et cependant le Premier Consul s'en préoccupa. L'Académie eut beau se faire petite, l'œil de Napoléon l'aperçut dans cette ombre où elle s'était jetée. Quand il eut effacé jusqu'aux derniers vestiges des libertés publiques, ce qu'il appelait abolir le gouvernement des avocats, il voulut fermer aux libres penseurs, aux idéologues, cow...meil les nommait, leur dernier asile, oubliant que sans ces idéologues, qui avaient préparé la ruine de l'ancien régime, et sans ces avocats qui l'avaient consommée, il ne fût pas devenu lui-même le maître de la France et de l'Europe, mais fût demeuré sans doute, malgré son génie, un petit gentilhomme obscur, perdu au milieu des rangs inférieurs de la hiérarchie qu'ils avaient détruite. J'ai recherché très-attentivement dans beaucoup de documents divers, et notamment dans les pièces administratives qui sont déposées aux archives nationales, comment avait eu lieu la destruction de la classe des sciences morales et politiques par le Premier Consul; je n'ai rien trouvé de considérable. On voit seulement, par la lecture de ces pièces, que ce n'est pas seulement dans les gouvernements parlementaires que ceux qui mènent les affaires se donnent la peine de cacher leur véritable pensée dans beaucoup de mots. Pour tout-puissants qu'ils se proclament, les gouvernements despotiques ne se dispensent pas plus que les autres de ruser. Ils daignent de temps à autre user de fourberies. Dans le rapport du ministre de l'intérieur Chaptal, rapport qui précède le décret, et dont j'ai trouvé la minute corrigée de la main du ministre même, il n'est pas dit un seul mot des raisons qui font supprimer la classe des sciences morales et politiques. Point de ·critique, point d'insinuations contre elle ; on ne dit même pas qu'on la supprime; on ne songe qu'à reformer l'Institut sur un meilleur

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