Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

296 forcés d'adhérer à des exploitations collectives, ce qui équivaut pour eux à être expropriés et réduits à la condition de simples ouvriers agricoles. Simultanément, la fièvre de l'industrialisation et la mise en œuvre d'un système lourd et coûteux de planification économique provoquent une chute brutale du niveau de vie dans les villes. La nouvelle classe se trouve bientôt environnée d'une atmosphère de peur, de haine et de répulsion générale et ne saurait échapper, pour se maintenir en place, à un usage redoublé de la terreur policière. Si elle est vigoureuse, son unité se renforcera, elle deviendra plus tyrannique et belliqueuse dans son isolement moral ; dans le cas contraire, elle en arrivera à une complète démoralisation. . Quoi qu'il en soit, en perdant le contact ·avec sa base populaire la nouvelle classe se prive virtuellement d'une masse de recrutement constituée par un mouvement révolutionnaire. Dorénavant pareil mouvement serait fatalement dirigé contre le pouvoir de la nouvelle classe elle-même. Celle-ci peut-elle trouver en elle ses propres facteurs de régénération ? Prenons un produit type de la nouvelle aristocratie : secrétaire régional du Parti, directeur d'un trust. industriel, viceministre de l'industrie des machines-outils. Le plus souvent le sujet sera d'extraction modeste. Avant la révolution, il était serrurier qualifié ou employé de bureau. Sa situation présente, il la doit non pas à son instruction ou à sa formation technique, mais à la franc-maçonnerie des combattants révolutionnaires et à son habileté à se pousser dans le Parti. C'est là un don très spécial. Il y entre de la clairvoyance, de la vitalité, de la ténacité, un manque total de scrupules dans la lutte pour l'avancement ainsi qu'une bonne pratique des hommes. S'il veut faire carrière, notre héros doit être capable de subodorer le « gros bonnet » de demain parmi les cadres d'aujourd'hui. Il doit en même temps ·se constituer sa propre clientèle. Ces qualités sont rarement données au berceau; c'est à la vie de les développer et c'est justement cette dure école qui fait défaut aux fils de la génération révolutionnaire. Notre secrétaire du Parti, directeur, ministre, a sans doute épargné à son rejeton les épreuves qu'il a endurées lui-même. Il l'aura choyé, dorloté, gâté au point d'en faire un bon-à-rien, malgré une instruction soignée et autres avantages. Dans toute société, un certa.ÏJ1pourcentage de la progéniture des « nouveaux riches » semble voué à ce sort. Supposons cependant que le fils ait.. bien tourné et qu'il ait. été reçu à ses examens. Selon toute vraisemblance, il ne deviendra pas comme son père un professionnel du Parti, un apparatchik, mais plutôt un membre de l'intelligentsia. L'influence paternelle facilitera sa carrière et c'est tout naturellement qu'il entrera au Parti. Cependant le jeun~ homme se sentira . Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE plus proche de ses collègues que de ses camarades de parti, les considérations professionnelles prévaudront sur la politique. La perpétuation politique de la nouvelle classe ne peut être assurée par simple filiation. Jusqu'à présent, ce problème n'a pris un tour aigu que dans un seul État comm11niste, à vrai dire le plus puissant de tous. En quarante années, la nouvelle . classe soviétique a transformé un pays agricole arriéré en une puissance industrielle qui ne le cède qu'aux Etats-Unis. Plusieurs générations ont accédé à la vie politique. En même temps, une classe moyenne voyait le jour qui, contrairement à la masse de la population - paysans, manœuvres et petits employés à col blanc - jouit de solides privilèges économiques. Ce groupe favorisé comprend les savants, les artistes, les hauts fonctionnaires et certains professeurs, mais le gros de la nouvelle élite sociale correspond à l'intelligentsia technique. La plupart des membres de la classe moyenne étaient tout juste d'âge à prendre part à la deuxième guerre mondiale. Ils ont aujourd'hui de 35 à 45 ans. Il est significatif que les plus âgés d'entre eux ne peuvent avoir aucun souvenir de la Révolution. C'est là le groupe social dont dépend aujourd'hui la nouvelle classe vieillissante, la seule fontaine de jouvence pour le Parti. Conff.it de générations EN UNION SOVIÉTIQUlEa politique est encore dominée par la nouvelle classe, soit une poignée d'hommes assez âgés pour avoir pris part à la révolution, tout au moins à la guerre civile. Mais la nouvelle classe moyenne constitue déjà la majorité des membres du Parti et elle est fortement représentée aux échelons inférieurs de l'appareil. Ces jeunes apparatchiki sont plus instruits que leurs supérieurs, les ex-fils du peuple, et ils auront tout naturellement tendance à épouser les intérêts de la nouvelle classe moyenne. La lutte entre la nouvelle classe vieillissante et la nouvelle classe montante est en fait un conflit de générations. Deux vieilles générations, celle « de 1900 » et celle « de 1910 », entrent en compétition pour les places avec les membres les plus âgés de la génération « de 1920 ». La génération de 1900 désigne ici les communistes nés avec le siècle ou un peu avant. La révolution, la guerre civile et les campagnes contre l'intervention étrangère ont marqué leur jeunesse. C'est aussi la génération qui fut décimée par les grandes purges des années 30. On n'en trouve plus que quelques rares spécimens dans l'actuel appareil du Parti, mais ces survivants, au caractère bien trempé, tiennent encore le haut du pavé quand bien même ils auraient été privés des leviers de commande. Khrouchtchev et Mikoïan, Kaganovitch et Boulganine, Vorochilov et Molotov, ces deux derniers plus âgés que les autres, appartiennent tous à cette génération.

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