E. HALPERIN du pays, c'était une armée de bergers et d'agriculteurs pauvres encadrée par des étudiants d'origine paysanne et petite-bourgeoise. Après la victoire, les combattants et leurs familles, en tout un million et demi à deux millions d'individus, constituèrent la nouvelle classe dirigeante. Très rares étaient les membres de la nouvelle élite à n'avoir pas pris part aux combats. Homogène par son extraction et soudée par les épreuves endurées en commun, la nouvelle classe yougoslave demeure à l'heure actuelle un groupe compact pratiquant une étroite camaraderie. Les origines des nouvelles classes russe et chinoise sont similaires. Une armée révolutionnaire a surgi de l'une de ces révoltes paysannes si fréquentes dans l'histoire de la Chine; vingt années de lutte lui donnèrent le pouvoir avec la victoire. Ce n'est que dans l'ordre de succession des événements que l'Union soviétique se distingue de la Yougoslavie et de la Chine. Les leviers de commande furent saisis par une organisation relativement faible d'ouvriers, de soldats et de marins conduits par des intellectuels. De grandes masses d'ouvriers industriels et agricoles et de paysans se joignirent aux forces révolutionnaires au cours des quatre années de guerre civile et d'intervention étrangère. C'est pendant cette longue lutte que le mouvement communiste en Russie gagna en nombre et acquit une discipline militaire. L'élite communiste du NordVietnam et de l'Albanie procède, quant à son origine, du même phénomène : dans ces deux pays, la nouvelle classe est issue d'un mouvement de partisans trempés dans les combats. Faiblesse congénitale LES DEUX FACTEURS importants dans la composition de la nouvelle classe des pays mentionnés, mouvement de masse révolutionnaire à la base, esprit de fraternité d'armes, font défaut en tout ou en partie dans d'autres pays sous dictature comm11niste. La nouvelle classe y a montré des signes évidents de faiblesse. De bons exemples seront fournis par la Pologne, la Hongrie et la Ro11manie, où les partis communistes étaient très faibles pendant le dernier conflit. Il est vrai qu:fsrès la guerre les rangs du Parti furent renfor par les rescapés des camps de concentration allemands et par de nombreux prisonniers de guerre libérés par l'Armée rouge pour combattre avec elle les nazis. Cet apport ne suffit pourtant pas à fournir en éléments sûrs les postesclés des gouvernements sous la protection des baïonnettes soviétiques. Il fallait élargir la base de la nouvelle classe : le mouvement de masse qui faisait défaut devait etre créé de toutes pièces. Les paysans seraient gagnés au régime communiste par la distribution des terres, les ouvriers par l'octroi de logements dans les beaux quartiers et par une législation sociale audacieuse.Tous ces efforts manqu~rent Biblioteca Gino Bianco 295 ' leur but : le partage des terres fut bientôt suivi d'une campagne de collectivisation ; quant au relogement et aux réformes sociales, ils ne réussirent pas à masquer une chute rapide du niveau de vie. La tradition antirusse commune aux trois pays ne fit qu'aviver le ressentiment contre le nouveau régime qui, aux yeux,. de la population, représentait les intérêts d'un Etat étranger. Ce qui ne veut pas dire qu'une nouvelle classe ne réussit pas à prendre corps en Pologne, en Hongrie et en Roumanie. Elle existe, mais, truffée d' opportunistes et sans racines populaires, elle manque d'homogénéité sociale et politique. Il s'ensuit qu'en période de crise les régimes de ces pays peuvent difficilement compter sur les membres du Parti. Pendant les journées d'octobre 1956, la nouvelle classe hongroise se désintégra purement et simplement. Ce n'est qu'après l'écrasement du soulèvement par les forces soviétiques que les communistes osèrent reparaître en public. Des conditions plus favorables existaient en Bulgarie, pays traditionnellement prorusse ; avant leur accession au pouvoir les communistes jouissaient déjà de la sympathie de nombreux étudiants. En Tchécoslovaquie existait également un climat favorable ; le Parti, qui obtint 38% des suffrages aux élections relativement libres de 1946, était déjà puissant avant la guerre. Après le coup de Prague, il pouvait puiser dans de vastes réserves politiques afin de pourvoir les postes importants. Cependant la nouvelle classe tchécoslovaque n'a jamais subi l'épreuve du feu et, malgré son importance numérique, elle manque de la cohésion née de la fraternité d'armes. Il est donc difficile de prévoir comment elle réagirait dans l' éventualité d'une crise sérieuse. Quant à la nouvelle classe de l'Allemagne de l'Est, c'est à coup sûr l'une des plus faibles. Le parti communiste allemand fut en son temps une organisation puissante. Ses rangs furent décimés par Hitler; ses cadres dirigeants, réfugiés en Union soviétique, subirent de lourdes pertes lors des grandes purges staliniennes. Les chefs actuels de l'Allemagne de l'Est, installés au pouvoir par Moscou, ne sont que des pantins. Difficultés de recrutement IL APPARAIT que partout où la nouvelle classe est forte et saine, elle le doit à ses origines, celles d'un mouvement de masse révolutionnaire. Cependant, peu après la prise du pouvoir; les liens de l'élite dirigeante avec le peuple commencent à se relâcher pour bientôt se rompre complètement. Dès que les classes sociales hostiles au régime ont été liquidées politiquement et économiquement, la nouvelle classe se retourne contre les couches inférieures de la population dont elle émane. Il n'entre pas dans notre propos de rechercher si, ce faisant, elle obéit à des impératifs politiques et économiques, ou bien à des considérations de pure doctrine. Les paysans sont toujours •
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