Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

É. BONNEFOUS SANS DOUTEsa profonde connaissance de l'histoire des sociétés lui avait-elle appris les bienfaits de ces ré11nions d'amis s'efforçant de confronter leurs pensées sur des sujets d'actualité, qui avaient fait fureur au XVIIIe siècle. Les mercredis de Maxime Leroy réunissaient rue Saint-Hyacinthe tout ce que Paris pouvait compter d'esprits distingués et curieux. A ces réunions, placées sous le signe d'une complète liberté, chacun pouvait à tout moment intervenir dans la conversation sans que l'anticonformisme ou l'aspect paradoxal d'une formule ne choquât. Nulle pesanteur dans ces entretiens d'où le ton excluait le dogmatisme : il était d'usage au contraire de ne point ménager les doctrinaires ni les usages consacrés. La variété des esprits qui fréquentaient rue Sainte-Hyacinthe était étonnante. Le journaliste côtoyait l'universitaire, le technicien l'artiste, le médecin l'éditeur, le bibliothécaire l'industriel. Rien ne plaisait plus à Maxime Leroy que ces contacts des mi1ieux les plus divers, dont la confrontation était riche de surprises. Avec un art de la conversation extraordinaire, Maxime Leroy avait l' œil à tout, savait glisser une pointe qui faisait rebondir l'entretien, évitait les apartés, interrompait par quelques saillies un antagonisme d'opinions qui risquait de devenir un conflit doctrinal : il était véritablement le meneur de jeu à cette fête de l'esprit. Ses dîners réunissaient également, depuis plus de quarante ans, un groupe plus vaste encore de ses amis. S'y retrouvaient de nombreux membres de l'Institut et particulièrement de notre Académie, des représentants qualifiés de l'Université, du barreau, de la magistrature : on y entendait Boris Souvarine évoquer la Russie, Hyacinthe Dubreuil parler des conditions de l'ouvrier américain, Jules Mihura souligner l'universalisme humain du régionalisme et l'ambassadeur Amé Leroy, frère de Maxime, conter ses souvenirs de Briand et de Léon Bourgeois. Au cœur de Paris, comme à Hossegor, dans les Landes ou dans la petite salle de justice de paix, Maxime Leroy savait créer des rapports familiers entre des êtres différents. André Malraux, commentant le vieux débat littéraire entre le romantisme et le classicisme, disait des classiques qu'ils s'étaient efforcés « d'approfondir leur communauté plutôt que d'exalter leurs différences». Les gens du Grand Siècle connaissaient cet équilibre de la société qui permettait aux génies les plus authentiques ae s'épanouir dans les contacts humains et non dans la solitude hautaine et désespérée d'un Vigny et même d'un Baudelaire. En ce sens,. Maxime Leroy avait un tempérament profondément classique à la manière de Saint-Evremond. Il ne se piquait de rien et surtout pas de doctrines qui divisent les hommes et les conduisent aux luttes fratricides : il aimait au contraire rapprocher ceux que l'esprit avait divisés, il n'était heureux qu'aux contacts chaleureux des pensées libres et Biblioteca Gino Bianco 293 vivantes. 11 s'efforçait dans tous les domaines et de toute sa vigueur de restaurer cet équilibre de la société fâcheusement rompu par les luttes éternelles du xixe siècle qui entretiennent entre les hommes de mortelles animosités. · Cet optimisme profond du bon philosophe, ses amis le comprenaient et l'admiraient : il donnait à ses réunions un aspect chaleureux et humain assez exceptionnel au xxe siècle. NOTREACADÉMIE,en l'accueillant dans so11 sein, avait consacré celui qui, par son œuvre et son action, s'était révélé digne de cet éclatant honneur. Élu en 1954 au fauteuil laissé vacant par le regretté Jacques Lacour-Gayet, Maxime Leroy venait d'avoir 80 ans. Mais cette élection avait été, il ne s'en est pas caché, une des grandes joies de sa vie. Celui qui, pendant toute sa carrière, avait approfondi les liens qui unissent les hommes, devait trouver ·parmi vous, Messieurs, la Société idéale des sages et des savants. • Vous avez gardé le souvenir du beau discours qu'il prononça le 20 février 1956 pour honorer la mémoire de son distingué prédécesseur LacourGayet. Il montrait en celui-ci l'esprit libre, l'intelligence critique. La manière dont il regardait la loi, « sans respect, avec désinvolture», lui était sympathique. Maxime Leory avait pour l'Institut une ferveur prof onde, il était présent à toutes les séances quand la maladie ne l'empêchait pas de venir. Les discussions le passionnaient. 11 prit la parole parmi vous, Messieurs, pour présenter de façon savante et distinguée un ouvrage de Maurice Regard sur Gustave Planche, l'adversaire du romantisme, et pour faire, le 11 février 1957, une communication sur un sujet qu'il connaissait mieux que personne, « SainteBeuve politique et social»*. Ce jour-là, l'unanimité de l'assemblée se plut à reconnaître la richesse de la pensée de Maxime Leroy, l'émouvante affinité qui le liait à SainteBeuve, la souriante érudition qui ne laissait aucun problème dans l'obscurité, enfin l'humanité bienveillante qui savait mettre les hommes à leur vraie place. 11 est des hommes grands par leurs actions. 11 en est d'autres remarquables par leur pensée. Rares sont ceux qui ont pu rendre leur vie conforme à leur idéal. Maxime Leroy fut de ceux-là. Si Baudelaire souhaitait quitter « un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve», Maxime Leroy s'est efforcé, lui, de faire sortir un monde nouveau de ses rêves de philosophe. ÉDOUARD BONNEFOUS. • Cf. Contrat social, mar 19 7. ( N.d.l.R.) •

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==