Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

292 nait libre cours à son grand talent de biographe et Saint-Simon, Fourier, Proudhon prenaient place dans ses cours au premier rang. Son bonheur dans l'expression, son érudition très vaste lui permettaient véritablement d'envoûter son auditoire. On lui a reproché de n'avoir pas assez mis en lumière Marx et le marxisme. C'est peu connaître Maxime Leroy que de croire qu'il parlerait de ce qui était aussi étranger à son génie. On sait bien qu'il ne voulait parler que de ce qu'il aimait : en Fourier l'homme, et aussi peutêtre le poète, dominait le dogmatique ; en SaintSimon, le voyageur, l'homme d'action, le bâtisseur dépassaient aussi l'aspect doctrinaire de la , pensee. Il lui répugnait que l'on puisse, par la politique, concevoir les données du problème social. La formation d'un parti lui semblait l'amorce d'une division alors qu'il était, lui, l'apôtre de l'organisation. Selon lui, la classe ouvrière devait trouver en elle-même les éléments de son progrès et non da11sles luttes politiques qui ne pouvaient que lui être funestes. En marge de son cours, il organisait rue SaintGuillaume une sorte de séminaire groupant ses élèves les plus fidèles. Ces réunions établissaient des contact§ familiers et précieux pour les jeunes gens de l'Ecole qui avaient ainsi l'occasion de rencontrer les syndicalistes dont ils entendaient parler. Dans ces libres réunions, tous les problèmes posés par la société contemporaine étaient étudiés et le succès en fut tel que la formule s'est multipliée depuis dix ans à l'Institut d'études politiques. Son enseignement humain, vivant et chaleureux, lui attira la reconnaissance de ·ses nombreux élèves et je veux citer le témoignage de l'un d'eux qui lui écrivait ces mots, exprimant avec naïveté le contact si fructueux entre le maître et ses disciples : « Votre cours m'a rendu compréhensif, il m'a fait redouter toutes les conceptions a priori qu'on adopte si facilement sur les hommes et sur les idées. Cela m'a fait un bien profond que de voir exposées avec tant d'huma: nité, de ·compréhension et de charité, les idées que vous nous avez développées dans votre cours.» Quel meilleur hommage pouvait-on imaginer à l'apologiste des Lundis ? * )f )f LES MULTIPLES ASPECTS professionnels de la vie de Maxime Leroy nous incitent donc à penser qu'il avait une sorte de vocation à constituer ce que Bergson appelait des « sociétés ouvertes». Il n'est pas de domaine ,où Maxime Leroy n'ait fait preuve de sa généreuse sociabilité. Tout ce qui pouvait donner prétexte à l'extension des rapports humains devenait l'objet de ses soins. Ainsi, il fut ardemment régionaliste parce qu'il avait compris que le culte d'un coin de .terre, Biblioteca Gino Bianco ANNIVERSAIRE l'attachement au prochain le plus proche était l'acheminement naturel et le plus sûr vers la communion universelle. Admirateur de l'Alsace et de Strasbourg, qu'il avait connus avec sa mère pendant son enfance, sa ferveur régionaliste devait être captée par une région qu'il découvrit ensuite : le Sud-Ouest et les Landes. Autour de r 900, à l'époque où Hossegor naissait, Rosny jeune venait en effet de découvrir le magnifique paysage landais où, plein d'un enthousiasme vibrant, il appelait son grand ami Maxime Leroy ; celui-ci accourut et reçut lui aussi le « coup de foudre d'Hossegor ». Il y construisit une maison. Dans un climat d'amitié, un groupe étonnant d'écrivains, d'artistes, d'ingénieurs, de médecins, de professeurs et de savants devait se former, tous étroitement unis dans 1~ Société des amis du lac d'Hossegor. C'est ainsi qu'il devint l'animateur d'une société de plus : cellelà, il la chérissait d'une manière particulière, car son régionalisme avait un caractère volontiers affectif : « Le temps avait historiquement parlant, nous dit-il, suspendu son vol au-dessus du lac endormi dans sa forêt enchantée. Ce n'était que silence dans cette solitude.» Cette solitude, bientôt colonisée par les pionniers de l'amitié intellectuelle, devait, comme la forêt de Wagner, retentir de murmures et de bruits familiers dont la peuplèrent les conversations des nouveaux habitants, tout à la joie de se retrouver dans un décor si propice à la confrontation ou à l'échange des idées. Et puis, selon sa méthode habituelle, Maxime Leroy devait bientôt ancrer dans le temps et dans l'espace ses vues régionalistes : il allait partir à la recherche attentive du passé, lancer de minutieuses enquêtes sur la multiplicité des coutumes, les traditions des métiers, la vie de la société locale. Son souci était de dégager de telles observations localisées, sous la saveur particulière du terroir, tout ce sens de l'humain leur conférant une valeur prodigieuse d'enseignement. Il définissait lui-même le régionalisme, avec Charles Brun, « la conscience d'un passé et la préparation d'un avenir». Encore en 1957, peu avant sa mort, il assistait au congrès de la Fédération régionaliste française et il présidait la séance consacrée au régionalisme intellectuel, rendant · hommage aux folkloristes, poètes, romanciers. L'affinité mystérieuse, la communion fondamentale que la région dévoilait entre les coutumes, les aspirations, les occupations, les croyances, représentaient pour Maxime Leroy une sorte d'accomplissement social, dont le monde moderne a malheureusement perdu l'habitude et qui était riche de promesses d'avenir : en ce domaine, il cherchait , aussi des mots d'ordre d'union, il observait la formation et la cohésion d'une corn- , munaute. Cette recherche de groupes sociaux, il la poursuivait à Paris, constituant lui-même des cercles d'amis qu'animait sa rayonnante personnalité.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==