... Ê. BONNEFOUS prodigue son temps et son labeur pour apaiser les petits conflits qui nuisent au moral des gens de l'arrière. On le voit en décembre 1939 protéger \llle malheureuse employée allemande que le pharisaïsme de son employeur prétend renvoyer. 11 aplanit les conflits douloureux en temps de guerre entre locataires et propriétaires, il multiplie les arrangements à l'amiable. Pendant toute sa carrière de magistrat, il a mis au service des humbles son cœur en même temps que sa science : conciliateur-né, il cherchait toujours à rétablir la concorde pour éviter un procès. Dans les petites salles de justice de paix de Paris aux banquettes usées, le bon juge était assiégé. Sa fonction était pour lui non seulement un prodigieux observatoire social, elle était aussi l'occasion de faire preuve de ses qualités profondes -de conciliateur, de son grand talent et de sa longue habitude des contacts humains. Dur pour la rouerie des pharisiens, il était indulgent pour les ignorants qui déposaient dans la simplicité de leur cœur. Il se faisait de son métier une idée très haute : L'enseignement de la Faculté, surtout juridique, n'apprend pas aux étudiants à voir, à comprendre le droit dans sa finalité pratique, élément de vie dans la Cité, régulateur des besoins, conciliateur des révoltes de toutes sortes, protecteur des faibles, gardien de la foi jurée, pour tout dire, agent chargé de faire régner le minimum de morale nécessaire au bon ordre : « bien commun des citoyens par-delà leurs opinions et leurs . , ... tnterets ». Pour Maxime Leroy, une telle fonction permet de mettre en application certaines idées de sociologie juridique qui lui sont chères et, par-delà les textes abstraits et froids de la justice des codes, il va pouvoir retrouver l'équité, faite de compréhension humaine, de nuance dans les jugements. Pour lui, le juge n'est pas un automate appliquant mécaniquement les conséquences du code; il est, selon le vœu de Montaigne, celui qui dans s~s actes fait véritablement preuve de «jugement», et non de mémoire mécanique. Le juge est à ses yeux une sorte de psychologue du social qui aide l'individu à s'adapter à la société et qui établit le règne de la solidarité. Les qualités indispensables au juge, Maxime Leroy les définit ainsi : Bien plus qu'un logicien, il doit être avant tout un observateur des faits, c'est-à-dire un homme possédant des yeu~ sachant voir, dépouiller les faits de leur interprétation tendancieuse. Voilà une opération dont tm esprit prudent connaît le détour et le péril. Car la loi a du mal à s'adapter aux mouvantes transformations de l'économie et de la société : elle est inévitablement en retard sur l'évolution, il appartient au juge de rectifier ce décalage, pour ne pas entraver le développement normal de la vie collective. Cette conception dynamique et sociale du rôle de la justice, Maxime Leroy ne cessait de la défendre. 11 fut un prodigieux animateur.Ses collège.:& l'avaient, par un choix Biblioteca Gino Bianco 291 symbolique, porté à la présidence de la Conférence des juges de Paris et de la Seine. MAxIME LEROY ne devint professeur que tardivement. Pourtant le problème de l'enseignement l'avait toujours passionné, il s'était beaucoup occupé de l'Université populaire, dont le rôle social lui semblait capital. A !'École des sciences politiques, son enseignement devait revêtir un grand éclat. Il y fut professeur de 1938 à 1944, succédant à Élie Halévy, le frère de notre éminent confrère. La succession était lourde car Halévy avait enseigné l'histoire du socialisme avec un bonheur tel que plusieurs générations, depuis le début du siècle, avaient été profondément marquées de son empreinte : l'auteur de l' Histoire du socialisme faisait figure de chef de file dans l'histoire de la pensée sociale. Ses analyses du marxisme et des penseurs prémarxistes, comme Sismondi et Ricardo, faisaient largement autorité en ce domaine. Élie Halévy enseignait à l'Ecole depuis 1898. Jusqu'en 1936 il avait fait, chaque année, un cours sur le socialisme ou sur l'esprit public en Angleterre. Quand Maxime Leroy lui succéda, il avait derrière lui une œuvre déjà très solide : sa Coutume ouvrière, ses Syndicats de fonctionnaires étaient la base d'une certaine forme de sociologie juridique. Vingt autres volumes étaient venus étayer sa réputation de sociologue. Son cours était donc attendu. Sans éloquence particulière, par sa simplicité, son charme, sa précision, il remporta immédiatement un vif succès. Il lui apparut important de dénoncer, dès le début, le discrédit dont ·souffrait !'Histoire dans les milieux littéraires. Il se refusait à suivre Valéry quand celuici disait de !'Histoire qu'elle était « le plus dangereux produit que la chimie de l'intellect ait pu élaborer ». Maxime Leroy devait montrer que !'Histoire n'était pas un miroir déformant, travestissant les idées pures, mais qu'elle était la seule clef permettant de déchiffrer l'apparente incohérence des démarches humaines. Même le parti pris, même la discorde et la révolte ont un sens : on peut les désapprouver mais il est bon d'en tenir compte quand on veut, suivant l'aphorisme de Spinoza, « 11epas s'indigner, mais comprendre». La trame de son cours était, pour cette raison, profondément historique. Il recherchait déjà l'origine des idées sociales chez les philosophes et les hommes de lettres du XVIIIe siècle, soulignait l'aspect sociologique de tels développements de Montesquieu ou de Rousseau, discernait dans Restif de la Bretonne la révolte sociale contre les grands propriétaires. Plus soucieux d'expliquer la genèse de la pensée sociale que de retracer les analyses qu'il jugeait trompeuses de la dialectique marxiste, il don- •
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