Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

290 Saint-Simon, c'est une autre affaire. Celui-là est un modèle, parce que sa vie réunit toutes les possibilités d'action qui s'offrent à l'homme : philosophe, voyageur, homme du monde, homme d'affaires, réformateur social, non dogmatique, esprit profondément positif ; le mélange d'imagination chaleureuse et d'observations précises qu'il y a dans son œuvre enthousiasmait Maxime Leroy. Pour les mêmes raisons, il aimait Sainte-Beuve. Seulement Sainte-Beuve est une sorte de SaintSimon à qui la grâce a manqué : il voit la vérité, mais il est incapable d'agir. La liberté de son esprit l'apparente à la famille spirituelle issue de Montaigne. Sainte-Beuve est selon Maxime Leroy « le moins dogmatique des penseurs », marqué dans sa jeunesse par le scepticisme modéré des idéologues, il restera constamment fidèle, même en plein romantisme, à la liberté d'examen et de discussion. Rien de plus séduisant aux yeux de Maxime Leroy que cette indépendance de pensée qui pèse en chaque idée son poids de réalité et se défie du faux brillant. Même attitude dans le domaine de la politique que dans celui de la pensée. Sainte-Beuve qui était « l'esprit le moins métaphysique de son temps » a toujours eu des mots très durs pour les hommes politiques en mal de constitution ou de fanatisme : C'est à des excès de dogmatisme et de certitude qu'il faudrait ramener l'origine de quelques-uns des maux politiques qui accablent la France depuis la chute de l'Ancien Régime. Sainte-Beuve condamne ainsi à la fois « le délire éclairé » de Condorcet et des doctrinaires politiques. Il condamne en même temps les excès de la licence et ceux du despotisme. Ce goût de la conciliation, cette horreur de l'outrance et de l'esprit de parti, Maxime Leroy l'admirait aussi en lui : jamais il ne s'est livré pour sa part aux mouvements d'opinion et aux polémiques accentuant l'esprit factieux que les Français tiennent de la Révolution et de la contre-révolution. Très éloigné des luttes politiques, Maxime Leroy a toujours cru en la valeur d'une organisation lente et patiente de la société, exclusive des luttes partisanes. « Sainte-Beuve a un esprit expérimental», disaitil. Et il aimait à citer, à propos de la méthode historique, cette opinion de son maître à penser : « On ne peut espérer que les doctrines maîtriseront les faits. On ne peut s'aventurer dans la forêt des faits qu'avec de minutieuses prudences.» Cett~ lucidité, ce sang-froid politique de SainteBeuve sont sympathiques à notre auteur. On le sent pourtant tout prêt à désapprouver son modèle dès que celui-ci .se laisse aller au pessimisme. Et si la leçon de Sainte-Beuve est « qu'il faut subir son temps », Maxime Leroy se plaît à rappeler que Sainte-Beuve, sénateur sous le second Empire, a justement passé son temps à Biblioteca Gino- Bianco ANNIVERSAIRE prendre parti, pour lutter contre les excès qu'il réprouvait. Ainsi se fait-il au palais du Luxembourg 1~ « représentant des Lettres », le « défenseur des disciplines de !'Esprit ». N'oublions pas qu'au second Empire ·Flaubert et Baudelaire étaient traînés en justice pour leurs œuvres. Renan l'anticonformiste n'était pas l'objet de plus d'indulgence. Courbet le peintre faisait scandale. Sainte-Beuve prenait au Sénat la défense d'Hugo, de Michelet, de Balzac et de Renan lui-même. Cette attitude positive et ferme séduisait Maxime Leroy : les nuances de la pensée de Sainte-Beuve ne nuisent ni à la clarté souvent prémonitoire de ses vues ni à la fermeté de son caractère. Sainte-Beuve était-il républicain ? Apparemment non. La question est d'ailleurs secondaire. Ce qui intéresse Maxime Leroy dans le personnage, ce n'est pas son ralliement à une doctrine politique, dont d'ailleurs !'Histoire ne retrouve pas la trace, c'est son parti pris de juger les faits et les hommes non pas selon le dogme ou la doctrine, mais selon ces valeurs supérieures de l'esprit qui sont la liberté et la dignité de la personne humaine. Cette foi dans l'homme, Maxime Leroy la retrouve dans Sainte-Beuve, comme dans SaintSimon; c'est elle qui donne à ses œuvres biographiques de si rares et si précieuses qualités. , AINSI l'homme est tout entier dans son œuvre : enthousiaste, curieux, ennemi des dogmes et des fausses certitudes, soucieux de retrouver les idées au niveau de la vie réelle. Est-il étonnant qu'un tel homme ne se soit pas contenté d'écrire mais qu'il ait voulu également jouer un rôle social? Ce rôle, les tribunaux de la justice de paix devaient lui permettre de l'assumer. A Nancy où il était jeune avocat, sa thèse de doctorat une fois achevée, il s'était déjà signalé au public en envoyant au Temps une lettre qui fut très remarquée. Elle était provoquée par le jugement du président Magnaud au sujet d'une femme qui avait volé du pain pour nourrir son enfant. Sa révolte contre un jugement dépourvu à ses y~ux du sens de l'humain était révélatrice de son état d'esprit. En 1908, il devint pour la prémière fois juge de paix à Colombes. 11 devait le rester plus de trente-cinq ans, dans la banlieue parisienne d'abord, puis à Paris même dans différents arrondissements. Au début de sa carrière, le juge de paix était le s-eul magistrat de France qui eût le droit de juger les cas d'espèce sans s'attacher au texte de la loi. C'est péndant les deux guerres qu'il fit la plus émouvante démonstration de ses belles qualités humaines de conciliateur. Il fut dans to'-!tt: l'acception du terme « le bon juge», celui qw Juge, non?selonllaJlettre mais selon l'esprit, c'est-à-dire selon le cœur, De 1914 à 1918, il

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