Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

Ê. BONNEFOUS Quatre ans plus tard, en 1950, paraissait le deuxième tome, de Babœuf à Tocqueville, où la transition des idées sociales de l'idéalisme du XVIIIe siècle au dogmatisme du x1xe siècle était esquissée. Enfin, en 1954, paraissait le troisième tome, celui des géants de la pensée sociale, d'Auguste Comte à P.-J. Proudhon. Le dernier tome, en préparation, ne devait pas sortir des presses avant la mort de Maxime Leroy. A la fin de sa vie, seulement,. il livrait donc au public cette œuvre gigantesque qu'il n'avait pas eu trop de toute son existence pour approfondir. Platon distinguait dans Le Sophiste deux catégories de penseurs, les « Amis des Idées», raisonnant sur les purs concepts et les « Fils de la Terre» qui s'appliquaient à décrire le mouvement, les transformations de la vie, le changement des formes de l'Univers. D'un côté les trompeuses clartés de l'intellect, de l'autre la fâcheuse confusion de la réalité. Et Platon ajoutait que la vérité se trouvait dans l'un comme dans l'autre et que la difficulté pour le penseur était de concilier les exigences de l'idée et les risques du concret. Maxime Leroy, dans ses Idées · sociales est d'accord avec Platon et s'il n'a pas la vanité de retrouver à chaque pas l'un dans le multiple, du moins la précision de ses analyses permetellè de discerner le multiple dans l'un. Une telle démarche, profondément antidogmatique, convient à l'étude d'auteurs qui ont eu tendance à p~nser par dogmes : le caractère de la pensée sociale et philosophique du x1xe siècle, écrit-il, « c'est le besoin de tout ramener à l'unité» : Les esprits de ce temps cherchent l'unité, forme de croyance répondant le mieux au dogmatisme qui est une autre de leurs caractéristiques. Le saint-simonisme et le fouriérisme ont, dans l'ordre social, essayé de ramener à une seule explication, parfois à un seul principe, l'extraordinaire variété des intérêts, des besoins, des idées. Ce besoin de simplification schématique est l'apanage des penseurs sociaux. Maxime Leroy, avec quelque désillusion mais sans amertume, constate cependant que « l'homme, depuis les origines, tend au dogmatisme et à la servitude ». En présentant son Histoire des idées sociales, selon son expression, comme une « histoire des chimères sociales », Maxime Leroy a voulu donner à ceux qui se croient mission de réformer la société une « leçon de modestie » : Vérité humblement première, ne serons-nous pas plus puissants en agissant en fonction de nos capacités intellectuelles plus modestement mesurées ou pesées, abandonnant enfin ce contentement de soi dont les doctrinaires du temps de Louis-Philippe ont donné une image dont Joseph Prudhomme est à peine la • caricature. Sans se laisser aller à un scepticisme stérile, Maxime Leroy nous fait accomplir son grand périple et, quels que soient son amertume et Biblioteca Gino Bianco 289 son désarroi devant les transformations de l'homme-janséniste en homme-masse, il nous dit que « l'espoir en l'avenir reste intact et qu'il faut, avec courage, repartir à la conquête d'un nouvel équilibre social ». « L'idée d'avenir, ajoutet-il, est certainement rétrécie, mais si elle s'humilie dans les défaites qui s'acharnent à la rétrécir, elle demeure virulente, plus forte que les critiques qui l'accablent. » Pour Maxime Leroy, l'histoire n'était pas une suite d'événements confus, froids et mécaniques, mais une réalité vivante dont les hommes portaient à tout moment le poids. La biographie était donc pour lui le moyen de montrer le rôle actif des grands esprits dans le cheminement des idées. DES GRANDS TYPES humains que l'historien a su dégager de la trame obscure des faits, le biographe a peuplé son Panthéon idéal. Rares furent ceux qui eurent accès à ce temple de l'humanisme; mais Fénelon, Descartes, SaintSimon bien sûr, et surtout Sainte-Beuve y avaient leur entrée de plein droit. Ce qui intéressait Maxime Leroy dans ces personnages, c'était leur caractère humain. Si Fénelon n'avait pas été l'auteur de la célèbre Lettre au Roi, si chaleureuse, si courageuse, aurait-il retenu l'attention de notre historien ? Pour Descartes, ce n'est pas l'auteur des Méditations, mais le paysan raisonnable et curieux qui retint son attention. Il se plaisait à rappeler le caractère mystérieux de la philosophie cartésienne dont le larvatus prodeo est le symbole. Il interprétait à sa manière Descartes penseur, génial précurseur de l' Encyclopédie. Celui-ci n'aurait fait de la métaphysique que par concession au conformisme du Grand Siècle. En lui, seul le masque serait métaphysique : Descartes réel, il faut le chercher ailleurs, par exemple dans ce portrait inédit, dessiné par J. Liévens aux environs de 1643, qu'il publiait en 1943, grâce à la courtoisie de M. Lévy-Bruhl. Nous avons enfin, disait-il, « le visage de l'amateur des jardins, du promeneur à travers champs, du cavalier campagnard, de l'homme qui aime les villages et leur vie simple». « Dirons-nous le bonhomme Descartes comme on dit le bonhomme Corneille ? Rien d'un ermite ni d'un misanthrope. Voilà un compère qui aime à parler.» Et Maxime Leroy va montrer que son Descartes est un esprit « d'aval » et non « d'amont», qu'il se dégage de la gangue métaphysique pour s'intéresser au travail de la science concrète, de la pensée politique. « Descartes a été un philosophe concret, un visuel, un manuel.» Reprenant le mot de Mme de Sévigné, il ose dire lui aussi « notre père Descartes». Celui-ci, enfin dépouillé de son masque, est bien en réalité le père d' Auguste Comte, de la pensée rationaliste et saint-simonienne dont Maxime Leroy se réclame à bon droit . •

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