288 militant, son nom ne peut être dissocié de l'hls- ~oire du syndicalisme à ses débuts. Respecté et admiré de tous pour sa compétence, Jaurès disait de lui : « Il connaît mieux que moi les questions syndicales. » Avec Alphonse Merrheim et Victor Griffuelhes, il prépare les statuts de la C.G.T. Son rôle dans la rédaction de la Charte d'Amiens fut considérable. Cette compétence, exceptionnelle à l'époque en matière syndicale, en même temps que son humanisme et son apolitisme incontestable, désignèrent Maxime Leroy à l'attention du gouvernement Clemenceau par lequel il fut chargé d'arbitrer les conflits juridiques avec les grévistes, à la fin de la première guerre mondiale. Dans ce domaine des conflits sociaux et de l'organisation des syndicats, le terrain était vierge. 11 était significatif que le choix se porte sur un homme de pensée dont l'objectivité était indiscutable pour trouver des solutions légales et humaines à un problème aussi grave. Le but que se proposait Maxime Leroy était de rechercher dans la littérature, dans la philosophie, dans la science sociale et dans la société elle-même tout ce qui .peut aider à l'apparition et l'organisation de ce monde nouveau de producteurs dont déjà, à son époque, Saint-Simon annonçait prématurément la naissance. L'intérêt de cette partie de l'œuvre de Maxime Leroy, si riche et si concrète à la fois, c'est d'avoir été celle d'un initiateur. S'il croyait à l'iédal, il savait également tout le poids du réel, toute la lenteur infinie des actions humaines. Il croyait plus au long cheminement de l'histoire qu'à des réussites spectaculaires immédiates. Dans Syndicats et Services publics, il écrivait dès 1909 : De plus en plus les grèves et les syndicats vont essayer de ramener à des discussions techniques et collectives des différends qui, jusqu'alors, étaient apaisés rien que par le commandement supérieur hiérarchique. (...) Un nouveau pouvoir est né dans la Cité en face de l'exécutif, du législatif et du judiciaire : le professionnel. Sans qu'il soit possible de faire aucune prévision, on peut dire que l'ère politique, selon Montesquieu et Rousseau, est virtuellement close. Il fut donc d'abord l'historien du travail, avec patience et conscience, une sorte de saint Thomas de la pensée syndicale. A cet égard sa Coutume ouvrière, à laquelle il tenait tant, est bien une « somme » de · connaissances acquises qui relevait à la fois du droit, de la sociologie et, pourrait-on dire, de la morale sociale. Il a fort bien montré qu'il est impossible d'établir une règle abstraite et a priori au sujet du rapport entre droit légal et droit syndical, l'État et la société économiquement organisée. Précisément, les promoteurs du Code,.civil, après Le Chapelier, le juriste de la Révolution, poussèrent à l'extrême le libéralisme : pour eux nul intermédiaire ne devait séparer l'État des citoyens. Le mouvement syndical, dans son ensemble, en substituant l'organisation au jeu trop libre des intérêts, tendait à nuancer cette conception. du droit devenue BibliotecaGinoBianco ANNIVERSAIRE abstraite. Maxime Leroy, juriste, mit donc au point une œuvre nouvelle et généreuse. Il écrivait dans La Coutume ouvrière ~· Le droit perd, lorsqu'il est confronté avec les faits, le caractère abstrait que la théorie cherche à lui imposer. Il apparaît alors comme un riche système des coutumes dont le caractère obligatoire vient non pas de l'autorité publique, mais de la nécessité où se trouvent les hommes de vivre en commun. Ainsi Maxime Leroy devenait l'un des promoteurs de la sociologie juridique française. Le jeune étudiant qui, pour sa thèse de doctorat, avait scandalisé la Faculté de Nancy par ses attaques contre le Code civil, devait ouvrir une nouvelle et fructueuse carrière aux recherches juridiques. En matière de droit constitutionnel, il se montrait aussi peu conformiste. Certains de ses ouvrages critiquent, à la lumière de l'impératif social, les formes contemporaines de la démocratie. Son essai sur la Théorie de l'autorité en démocratie est exactement l'opposé d'une certaine tradition de la philosophie politique héritée de Hobbes. Hobbes se représentait, en effet, .la Cité comme Descartes la Science, en partant des principes pour tâcher d'y- adapter le .réel. La méthode de Maxime Leroy est à l'opposé. Elle part du social dans son contexte concret et dans sa liaison avec l'économique. C'est de cette complexité et de la confusion de ce réel instable, que personne n'a réussi à fixer dans des théories, qu'il tente de dégager les principes d'organisation d'une nouvelleJ démocratie. Ambitieux dessein et projet de jeunesse ... Prof ondément conscient de l'immensité de· la tâche, Maxime Leroy se rend compte que son rôle d'intellectuel est de préparer l'élite pensante de la Cité. Son œuvre littéraire ne sera qu'un lent et persévérant labeur de démystification. Il s'attaque aux mythes les plus éprouvés, aux valeurs les plus reconnues de la philosophie et de la littérature françaises, pour montrer qu'ils IJ.esauraient se comprendre sans référence à une pensée sociale qui n'a pas toujours été dégagée, mais plutôt confusément sentie. C'est par . là que son Histoire des idées sociales, qui restera .la partiç capitale de son œuvre, présente un tel intérêt. Non seulement il étudie des hommes comme Saint-Simon, Proudhon, Fourier, dont l'objet précis était de réformer la société, mais il montre le cheminement des idées elles-mêmes. Ainsi il y aura un Hugo social, un Stendhal social et même un Descartes social. L' Histoire des idées sociales n'est pas un exposé de doctrines ; à plus forte raison n'est-elle pas l'exposé d'une doctrine, c'est la description sagace et précise d'une réalité sociologique, complexe et confuse, dont l'auteur s'est efforcé de retrouver le mouvement. La première partie de l'ouvrage, publiée en 1946, traitait du XVIIe siècle social et s'attaquait aux doctrinaires de la démocratie moderne, de Montesquieu à Robespierre.
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