É. BONNEFOUS Leroy, enfant souvent délaissé, demandait à !'Histoire des justifications et des éclaircissements. A Saverne, où il passait ses vacances chez sa grand-mère maternelle qui habitait le château, à Paris, au lycée de Vanves, il était le même enfant studieux et sérieux. Au seuil de l'adolescence, le merveilleux historique ne lui suffisait plus, il atteindra l'ascèse du doute. C'est encore !'Histoire qui devait en marquer l'étape. Taine devint alors son maître, !'Histoire lui paraissait « l'école de l'incrédulité». Taine avec son ardeur, son esprit systématique, son apparente clarté, fut pour la génération de Maxime Leroy un maître à penser à la fois rigoureux et décevant. Si ses brillantes démonstrations historiques séduisaient les jeunes esprits, son scepticisme profond les livrait au désarroi, à la défiance de l'Humanité, à l'ironie devant !'Histoire. Fernand Gregh, condisciple de Maxime Leroy au lycée de Vanves, évoque la« figure douce sous des cheveux épais » du jeune collégien et la manière qu'il avait de jouer, comme les autres, mais avec « un peu plus de lenteur et de.sérieux». Ce sérieux, écrit Fernand Gregh, « que corrigeaient sa vivacité d'esprit et un charmant sourire, il devait le garder à travers toutes ses études au lycée, puis à la Sorbonne, puis à l'École de Droit». 11 fut en effet étudiant en droit à la Faculté de Nancy de 1892 à 1898. 11 obtint même le premier prix de Code civil au concours du 3 août 1894. C'est en 1898 qu'il devint docteur en droit. Mais en même temps qu'il réfléchissait sur Taine, le jeune Maxime découvrait Sainte-Beuve. Entre ces deux esprits de formation et de direction aussi différentes, Maxime Leroy choisit finalement la sagace modestie de Sainte-Beuve après avoir longtemps sacrifié au culte de Taine. « Sainte-Beuve, remarque-t-il, savait ce que Taine ignorait, l'à-peu-près des choses, le peu de caractère des esprits». Comme Ulysse dégagé des sortilèges de Circé, Maxime Leroy nous - confesse : cc Heureux, ceux qui ont pu échapper à Taine.» Fuite singulière, curieux cheminement pour un adolescent ardent et enthousiaste, le passage de Taine à Sainte-Beuve qui était alors, nous confie Maxime Leroy lui-même, cc peu lu, plus estimé que suivi ». Cette rencontre avec Sainte-Beuve, qualifiée par Maxime Leroy lui-même « de hasard heureux», eut des conséquences immenses sur l'évolution intellectuelle de celui qui s'en ferait un jour l'historiographe. Nous savons que l'auteur des Lundis fut son véritable maître à penser, et que l'œuvre entière de Maxime Leroy ne peut se comprendre que par référence à cet antidogmatisme fondamental. Maxime Leroy était d'une patience, d'une égalité d'humeur remarquables. Il ne quittait cette sérénité d'esprit que lorsque devant lui quelqu'un attaquait Samte-Beuve. Il y avait là comme une affinité précieuse et profonde, dont il lui était impossible de se défaire. Je gage que Maxime Leroy e(\t été moins embarrassé que Gide pour répondre à la question : Biblioteca Gino Bianco 287 « Quels livres convient-il de sauver d'un désastre frappant toute la littérature ? » Sans nul doute, à côté des Lundis il eût placé Télémaque. La douce imagination de Fénelon qu'il compare à celle de Fourier, ses rêveries sur le bonheur futur de l'Humanité, ses chimères sociales, plaisaient à cet esprit et l'orientaient déjà vers cette recherche de la pensée sociale, qui est l'autre constante de sa vie et de son œuvre. La pensée sociale est pour Maxime Leroy une sorte de prédestination: «J'étais marqué, comme tant de mes camarades, du signe social. » Faut-il voir là quelque attitude littéraire chez un esprit si jeune ouvert aux lectures ? Quelque réminiscence du René de Chateaubriand ? Nous sommes ici dans le domaine des convictions intimes qui forment les grands auteurs. L' œuvre de Maxime Leroy ne viendrait certes point démentir cette confession. L'étudiant ne fut pas, comme tant d'autres, l'adepte de Barrès, que son talent polémique lui rendait suspect d'« esprit factieux ». L'enseignement du droit qu'il suivait alors le déconcertait quelque peu ; il le trouvait «mortel et monotone». « Nos civilistes (...) parlaient, en effet, loin de nous, du fond d'un tombeau». C'est pourquoi Émile Acollas lui paraissait une valeur au moment où Portalis dominait les études de droit. Dans la littérature, dans l'histoire, dans le maquis des textes juridiques, Maxime Leroy, étudiant, était déjà à la recherche des idées sociales. Telles étaient les préoccupations du jeune Maxime Leroy qui, de Nancy à Paris, allaient contribuer à donner à sa personnalité ses traits les plus caractéristiques : auteur-magistrat-professeur et causeur incomparable. C'EST d'abord par la plume que le talent de Maxime Leroy s'est affirmé. Dans cette œuvre écrite, si riche et si diverse, il sera constamment soutenu et conseillé par la fidèle collaboration de Mme Daniels et par la chaleureuse présence de ses amis à laquelle il tenait tant. Maxime Leroy fut un auteur fécond. L'ensemble de son œuvre, comme celles de Fourier ou de Saint-Simon, s'ordonne autour d'une pensée fondamentale : la préoccupation sociale. Maxime Leroy s'est toujours efforcé à la plus irréfutable objectivité, même quand il abordait des sujets susceptibles de soulever des polémiques pas- . , s1onnees. La première partie de cette œuvre concerne l'histoire du travail dans ses relations avec les organisations professionnelles, les institutions et les services administratifs. Il accomplit ainsi une ·patiente recherche dans le but de codifier la coutume ouvrière, diffuse et embryonnaire. Intéressé par l'aspect concret du problème, il connaissait les grandes figures du syndicalisme et, bien qu'il se soit toujours refusé à s'inscrire dans une formation politique et à faire figure de •
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