Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

A. MARTIN prolétariat urbain sous la direction de celui-ci était la condition du succès. Par endroits, la bourgeoisie nationale participait à la lutte, en particulier là où le capitalisme avait connu un développement relativement rapide; mais il ne s'agissait en l'occurrence que d'une fraction de la bourgeoisie, des capitalistes intéressés matériellement à l'expansion du marché intérieur 5 • En Afrique occidentale, par exemple, la bourgeoisie était rendue responsable de la faiblesse et de l'instabilité du mouvement national qu'elle tenait sous sa coupe. Les observateurs soviétiques condamnaient catégoriquement le parti du peuple du Ghana, qu'ils accusaient d'avoir fait « un grand pas à droite, vers la collaboration avec l'impérialisme britannique » ; Nkrumah, horribile dictu, se déclarait en faveur d'une action constructive sur la base d'une constitution 6 • Deux ans plus tard cc le parti du Peuple était devenu bien pensant. Tout en ne devant ses succès qu'à la classe ouvrière, il ne représentait que les intérêts de la grande bourgeoisie 7 ». Les commentateurs exprimaient leur mécontentement devant la politique des organisations de la Nigeria. On devait s'attendre à les voir critiquer les « vues monarcho-réactionnaires » d'Obalemi Owolowo et dénoncer les « marionnettes » du Yoroubaland 8 • Mais le Dr Azikiwé n'était guère mieux traité : ses origines aristocratiques et ses études dans une université noire , des Etats--Unis suffisaient à éveiller la méfiance de Moscou 9 : Ses idées politiques et la ligne qu'il suit reflètent manifestement le caractère inconséquent de la bourgeoisie nationale. Il se déclare en faveur de l'autonomie de la Nigeria sans voir que la formule peut prêter à des interprétations très diverses ; le parti travailliste britannique est lui aussi partisan de l'autonomie des colonies 10 • Azikiwé préconise l'emploi des seuls moyens de lutte pacifiques ; autre grief, l'élaboration de la pseudo-constitution qui porte son nom et qui est q11alifiéede projet démocratique bourgeois 11 • La plus profonde amertume tenait cependant à ce que la direction des syndicats nigériens n'était plus assurée par des communistes : en effet, la classe ouvrière était tenue pour la seule force capable de grouper tous les peuples de la Nigeria dans leur lutte pour l'indépendance. Plutôt que de reprendre les mots d'ordre communistes, les syndicalistes avaient fait scission : ils avaient « trahi » par là la classe ouvrière ... 5. I. Liémine in « La Lutte impérialiste ... », p. 301. 6. I. Potekhine, ibid., p. 228. 7. Narody Afriki, Moscou 1954, pp. 250 et 252. 8. I. Potekhine in « La Lutte impérialiste ... », p. 230. 9. Azikiwé est accusé en outre de favoriser le développement d'un nationalisme bourgeois spécifiquement ibo en prétendant que Dieu a créé la nation ibo afin qu'elle délivre l'Afrique de ses chaînes. 10. Narody Ajriki, p. 344. 11. Ibid., p. 34S• Biblioteca Gino Bianco 281 En A.-O.F. le mouvement d'indépendance avait beaucoup souffert de la défection des « nationalistes bourgeois réformistes». Le R.D.A. (Rassemblement démocratique africain) avait été chaleureusement soutenu par les communistes au temps de la collaboration des années 1946-48 ; en 1949 ce fut une pénible surprise quand le R.D.A. renonça à la ligne communiste et il fut question de « l'immense colère des travailleurs devant la trahison du groupe Houphouët-Boigny qui avait enfin jeté le masque »12 • « Le honteux marché conclu avec les colonisateurs » avait porté un grave préjudice au mouvement national. Cette défaite était analysée de la manière suivante : la masse des adhérents au R.D.A. était constituée par des paysans que le prolétariat urbain, encore trop faible et insuffisamment organisé, n'avait pas su guider ; d'où mainmise de la bourgeoisie. Dans sa majorité, cette dernière était le porteparole de la vieille aristocratie ou des compradores et réclamait tout au plus une réforme qui « active la croissance des rapports capitalistes ~dans les colonies, le but étant l'égalité des droits avec les compagnies françaises dans l'exploitation des ressources naturelles et de la population indigène >> 13 • CES QUELQUES EXEMPLES illustrent la tendance négative des écrits soviétiques sur l'Afrique en général,,. qu'il s'agisse du régime NeguibNasser en Egypte, du Néo-Destour en Tunisie, du Soudan ou du mouvement national en Afrique centrale et en Afrique du Sud ; les rares exceptions concernaient les communistes ou les « compagnons de route» installés aux positions-clés des mouvements nationaux. La ligne ne changea qu'en 1954-55, au moment de la modification générale de la politique soviétique à l'égard des pays sousdéveloppés. Les nouvelles caractéristiques de cette ligne peuvent être, quant à l'Afrique, résu- , . mees comme swt: 1. Alors qu'auparavant les concessions faites par les pwssances coloniales n'étaient qu'un « trompe-l'œil » destiné à « augmenter l'efficacité de l'asservissement», on admettait à présent que la logique des événements avait / orcé les gouvernements colonialistes à jeter du lest 14 • Cette prise de position créa un certain désarroi 15 • 12. S. Datline, op. cit., pp. 257-64; Narody Afriki, pp. 353-57. 13. A l'époque, les principaux alliés des communistes étaient eux-mêmes des compradores types. 14. I. Potekhine : « La situation politique en Afrique , dans Sovietskoié Vostokoviédénié, 1956, n° 1, p. 28. (Il s'agissait du premier numéro de ce périodique paru après le xx° Congrès : l'article peut donc être considéré comme un « programme»). 1 S. Potekhine soutenait, entre autres choses, que parler d'industrialisation en Afrique ne corr spondait à ri n : « Il n'existe en effet aucune industrialisation dans le vrai sens du terme. » Mais dix lignes plus bas, il affirme que « 1 s rangs de la classe ouvrière ont considérablem nt gros i ». •

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