Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

DE LA POLITIQUE PURE par Bertrand de Jouvenel I UI VEUT RENDRE hommage aux fondateurs de la science politique doit faire le voyage d'Athènes. Là, les collines appellent son regard, et d'abord il monte à l'Acropole. C'est ici que, durant toute son existence, le peuple athénien honora ses dieux, mais aussi l'Acropole fut le siège du gouvernement royal, puis du gouvernement personnel. La seconde hauteur à visiter est celle où siégea l'Aréopage, tribunal aristocratique, devenu le lieu des décisions les plus importantes par la chute du gouvernement personnel. De là il faut passer à la troisième colline, la Pnyx, où se réunissait l'Assemblée du peuple, seule apte à prendre des décisions dans le dernier état de la République athénienne. Ainsi l'histoire du gouvernement d'Athènes est comme une histoire de collines, la source des commandements se déplaçant d'une hauteur à une hauteur, et l'esprit substitue aisément. au rapport physique des altitudes, qui est constant, le rapport moral des éminences, qui a changé. La suggestion géographique guide l'entendement vers la représentation de la procédure gouvernementale comme une fugue à plusieurs collines, dans laquelle interviennent les voix d'éminences diverses, et c'est la conception des formes de • gouvernement mixtes. La pensée qui se porte sur un objet quelconque de connaissance a pour premier besoin des points de repère; s'agissant de penser la politique, les points de repère qui s'offrent naturellement à l'esprit sont les hauteurs de commandement établi. Aussi comprend-on aisément que la science politique soit née et se soit développée comme une cartogray,hie des hauteurs. Et cette cartographie, dès 'origine, a été comparative dans les dimensions de l'espace et du temps. Comment les sièges d'autorité sont-ils disposés dans telle cité et dans telle autre, et comment ont-ils été • Biblioteca Gino Bianco disposés à telle époque et à telle autre ; et quelle disposition est préférable, comme découlant d'un principe plus juste ou produisant des effets plus heureux? Telles sont, schématisées, les questions qu'Aristote a soulevées, l'intérêt s'attachant essentiellement à la structure des autorités établies. La science politique a prospéré dans cette voie, progressant comme une géographie critique de divers systèmes de hauts lieux, chaque système offrant une répartition particulière des droits de décider ou de commander. Ce qui fut historiquement la préoccupation majeure de la science politique n'a rien perdu de son importance, et même 'les circonstances de notre temps ravivent l'intérêt de ces études. Je tiens à dire combien j'en ai conscience avant que d'énoncer l'orientation tout autre de mon intérêt; car mon propos n'est point de recommander «ceci au lieu de cela» mais tout au plus j'espère qu'il y a place pour «ceci» aussi. II IL N'Y A PAS que des institutions, il y a des événements qui tantôt adviennent dans le cadre des institutions, tantôt le font sauter. Les événements appartiennent à l'historien: c'est Thucydide et non Aristote. Il ne peut pas y avoir de science événementielle analogue à la science constitutionnelle. Avant tel débat historique, un Athénien pouvait dire:« 11est certain que l'Assemblée est compétente pour déclarer la guerre à Syracuse » (science), mais il pouvait seulement avancer : «11 est probable qu'elle le fera» (conjecture). Cependant la simple probabilité du fait était d'un intérêt autrement vif que la certitude du droit : aussi ne laissons-nous pas d'émettre des opinions, si hasardeuses soient-elles,

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==