272 il « n'avait fait que donner une nouvelle version du prétendu danger communiste ». De surcroît, si « l'Irak devenait un pays communiste », on pouvait prétendre au même titre que « la RAU elle-même s'était engagée fort avant dans cette voie. L'Union soviétique entraîne toujours son armée et pourvoit à son équipement. De grandes usines sont installées grâce à l'aide soviétique». Le Caire et Damas s'abstinrent de répondre à cette franche provocation et une manière de trêve s'instaura. La volonté évidente de Nasser d'éviter une nouvelle détérioration de ses rapports avec Moscou incita même le journal libanais l'Orient à parler d'une « nouvelle déclaration d'amour» à l'Union soviétique 12 • Moscou, pour sa part, ne tenait pas Nasser pour personnellement responsable des attaques contre le communisme dans le monde arabe, mais plutôt quelques-uns de ses sous-ordres trop zélés. Ainsi, début mars, il semblait que la brèche entre communistes et nationalistes allait être comblée. C'est alors que le putsch pronassérien de Mossoul fit rebondir le conflit. La répression de la révolte par le régime de Kassem renforça la position des communistes en Irak et obligea Nasser à prendre plus nettement parti contre la menace communiste. Tout espoir de réconciliation était reporté aux calendes grecques. Le fond du problème MossouL marque le terme d'une évolution. Suivre les événements au jour le jour présente désormais peu d'intérêt. Dans le tourbillon qui emporte le « monde arabe» le fait sensationnel peut devenir quotidien. Élévation ou chute de telle coterie, alliances éphémères, déplacement du centre de gravité politique d'une capitale à l'autre, tous ces accidents ne sauraient affecter profondément les données fondamentales du problème : celui-ci était clairement posé dès les premières passes d'armes. La collusion entre communisme et ultra-nationalisme arabe fut scellée par la « lutte contre l'impérialisme occidental ». Mais, de 1956 à 1958, le danger extérieur s'éloignant, l'alliance perdit de sa raison d'être. A cela s'ajouta un autre facteur, peut-être plus important. L'expérience l'a prouvé, le rapprochement entre nationalistes et communistes est possible lorsque ces derniers sont très faibles ou lorsqu'ils sont très forts. Dans le premier cas, ils sont tenus pour quantité négligeable, dans le second leurs partenaires préfèrent la mort lente de la collaboration à une élimination brutale. Du point.,..de vue des communistes, c'est la phase intermédiaire qui est critique : il est bien rare qu'ils passent du jour au lendemain, comme 12. Cité dans Neue Zürcher Zeitung, 2 ID?fS 1959. Biblioteca Gino Bianco ( LE CONTRAT SOCIAL / en Irak, d'une obscurité relative à une position prépondérante. Au début de 1959, le communisme «arabe» ne pouvait plus être ignoré; il n'était cependant pas assez puissant pour dominer le mouvement «national » tout entier. D'où rupture inévitable, en dépit du désir des deux camps de reculer l'échéance. Rares étaient les dirigeants nationalistes, depuis des années· portés à minimiser l'influence des partis communistes, qui avaient su prévoir cette situation. A quelques exceptions près, les observateurs occidentaux avaient commis la même erreur. John O'Kearney n'allait-il pas jusqu'à affirmer dans Red Mirage que le communisme n'existait pas dans le « monde arabe» ? Les Soviétiques furent plus perspicaces : ils ne se faisaient aucune illusion sur la durée probable de l'alliance. En pleine idylle, un commentateur soviétique écrivait : « Nous ne considérons pas le mouvement d'unité arabe comme tabou 13 • » QUANT aux chefs communistes arabes, ils sont depuis longtemps convaincus que le mouvement d'unité nationale est un phénomène « synthétique » et purement transitoire, voué à la scission. Il n'en demeure pas moins que la ligne de partage entre communistes et nationalistes n'est pas toujours bien tracée. Nombre de communistes arabes ne sont pas des marxistes-léninistes au sens courant du terme : leur dogme fondamental est l'anti-impérialisme, domaine qui n'est en aucune façon une chasse gardée communiste. D'autre part, les dirigea11ts nationalistes non communistes ne peuvent passer pour des « représentants de la bourgeoisie nationale». L'absence de conflits de classes aigus a parfois incité les observateurs communistes à envisager la possiblité de marquer des points « à la chinoise». Ils ont souligné qu'en Chine la bourgeoisie nationale n'a pas été détruite physiquement, qu'elle a pu conserver son propre parti politique ; ils ont vu là une raison d'espérer que leur propre bourgeoisie en viendrait à accepter semblable solution. Cette théorie, pour fondée qu'elle soit en partie, néglige délibérément l'âpreté de la lutte pour le pouvoir politique. Même dans des sociétés qui se prétendent sans classes, la lutte pour le pouvoir demeure impitoyable. Les successeurs de Staline, qui avaient en commun une idéologie et des convictions politiques, n'y ont pas échappé. Comment les dirigeants du «nationalisme arabe» et leurs rivaux comm11nistes pourraient-ils retarder indéfiniment le moment d'abattre leur jeu ? , (Traduit del' anglais) WALTER LAQUEUR. 13. Constantin Ivanov, dans Mejdounarodnaia Jizn, février 1958.
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