Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

YVES LÉVY qu'un changement de régime), ne comprendrait pas que les deux gauches se combattissent lorsque « la réaction» est au pouvoir. VOILAce qu'a donné le scrutin à deux tours dans le passé. 11 donnera, dans l'avenir, les mêmes résultats, et l'on peut même dire que la réforme constitutionnelle risque de les aggraver sensiblement, voire catastrophiquement. Voici en effet ce qui se passe et ce qui se passera. On a assuré la stabilité gouvernementale en n'obligeant plus le gouvernement à recueillir en permanence la majorité des votes de l'Assemblée. 11 n'y avait à vrai dire pas besoin de cela pour qu'une majorité de coalition fût rongée par l'inquiétude électorale, mais grâce à cela on peut être assuré que les dissensions de la majorité ne s'apaiseront pas, puisque sa parfaite cohésion n'est pas nécessaire à l'existence du gouvernement. Bref, autant que sous la IIIe République, on va voir la majorité se désunir, puisque chaque député de la majorité va songer à cette petite avance qu'il faut .avoir au premier tour sur ses alliés pour demeurer, au second tour, le seul représentant de la coalition. Le combat important, c'est celui du premier tour, contre les alliés, non celui du second tour, contre l'adversaire. Il faut donc refléter au plus près les intérêts locaux, les nuances locales, ne voter pour le gouvernement qu'à bon escient, participer même à l'occasion à quelque victoire obtenue contre le gouvernement pour s'assurer la sympathie particulière de tel groupement local, associations sportives ou anciens combattants. Telle est la situation du député de la majorité, et parfois du • • m1n1stre. La situation du député de l'opposition est plus simple. Sous la IIIe République, les divers groupes de l'opposition unissaient souvent leurs voix, mais il n'y avait guère de solidarité entre eux. Si l'opposition extérieure, surtout à gauche, n'avait pas la perspective d'avoir accès à des postes gouvernementaux, l'opposition intérieure, elle., avait souvent la possibilité de voir, au hasard des crises, solliciter son appui ou sa participation. Ce temps n'est plus. La stabilité gouvernementale est, sinon assurée, du moins renforcée, au moment même où l'accroissement des attributions ministérielles donne plus de prix à la conquête du pouvoir. Si donc le nouveau système ne fait rien pour détruire l'inquiétude électorale de la majorité et lui donner par là plus de cohésion, il aiguise en revanche l'ambition ministérielle de l'opposition et la condamne tôt ou tard à s'unir. Peu importe qu'il y ait deux, trois ou cinq ans à attendre : ou l'on changera la loi électorale, ou nous verrons se reconstituer le Front pop11JaireO. r le Front populairen'a aucune chance d'~e, plus qu'en 1936, une formation viable sur le plan gouvernemental, et le seul Biblioteca Gino Bianco 267 problème qu'il pose est celui de la gravité des troubles que son succès nous vaudrait. On pourrait conclure ici en disant que M. Debré n'avait pas tort de voir dans le mode de scrutin « le dernier secret de la démocratie». Il faut ajouter qu'il n'avait pas tort de parler de la nécessité des étapes. Et il se trouve que si le scrutin à deux tours de cette année n'a pas, semble-t-il, été considéré comme une étape vers le scrutin majoritaire à un seul tour, les circonstances sont telles qu'il peut faciliter une nouvelle réforme. Une des raisons majeures, en effet, qui empêchaient d'instaurer en France le scrutin anglais, c'est que, dans le quart des circonscriptions, le principal représentant de la gauche eût été un député communiste sortant. 11 y avait donc lieu de craindre que, ce mode de scrutin entraînant la polarisation des voix autour de deux partis, le parti de gauche ne fût le parti communiste. Les dernières élections ont éliminé ce danger, et il ne semble même pas que, de ce point de vue-là, on puisse espérer de retrouver jamais circonstances aussi favorables pour nous donner enfin le scrutin majoritaire à un tour. Dans l'immédiat, ce scrutin assurerait la fusion de la majorité ( car il ne serait pas concevable que les partis de la coalition gouvernementale opposassent leurs représentants, surtout dans les circonscriptions où l'un d'eux présenterait un député sortant), et conduirait la gauche intérieure à demeurer clairement distincte de la gauche extérieure : elles deviendraient en effet rivales pour la représentation unique de la gauche. Quant à l'électorat de gauche, il serait sans doute porté à rassembler ses voix sur la gauche intérieure, lorsque serait écartée la perspective de la voir se compromettre avec ses adver- • saires. L'achèvement de la démocratie CETTE RÉFORME est nécessaire. Elle est d'une nécessité théorique que le chef du gouvernement a jadis très bien démontrée, d'une nécessité pratique qu'il éprouve sans doute à présent. Bien qu'elle doive se heurter à des obstacles constitutionnels et politiques, on peut espérer qu'elle se fera. Notre édifice constitutionnel aura enfin trouvé sa base, la structure en sera achevée, et nous parviendrons ainsi au terme d'une évolution près de deux fois séculaire. Dans un premier temps, le roi fut la source du pouvoir, qu'il déléguait à sa guise. Ensuite, il lui fallut partager la souveraineté avec la nation, et le pouvoir dépendit à la fois de lui et des représentants de celle-ci. Puis le roi disparaît, la nation seule a la souveraineté, et ses représentants diseosent du pouvoir. Demain peut-être, la nation elle-même choisira ses gouvernants, et les fera contrôler par ses représentants. Nous vivrons enfin en démocratie. YVES LÉVY• •

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