Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

266 la place au scrutin de liste) que celui de la IVe, et il estimait qu'ils aboutissaient au même résultat · néfaste : multiplier les partis. A la conception de la justice représentative, il opposait au fond, comme on fait ici, un point de vue technique : il faut que le mode de scrutin cesse de priver le pays d'un gouvernement digne de ce nom. C'était vouloir réorganiser l'Assemblée, par le mode de scrutin, en vue de la fonction gouvernementale. Il lui manquait seulement, pour asseoir définitivement le système, de repenser la fonction représentative des députés et la fonction parlementaire des partis. On ne peut ici s'étendre sur ces problèmes théoriques, car cette étude est déjà longue (mais comme dit Pascal - après Guez de Balzac - on n'a pas eu le loisir de la faire plus courte). Une deuxième raison pour penser que M. Debré n'envisage pas notre mode de scrutin actuel , . . . . comme une etape vers un scrutin maJor1ta1re à un seul tour, c'est qu'il a laissé l'Assemblée (art. 34 de la Constitution) maîtresse de son régime électoral. Et une troisième, c'est que l'article 4, qui pour la première fois dans une Constitution française fait état de l'existence des partis politiques, prévoit pour eux une entière liberté. Cet article semble avoir été conçu pour atteindre, s'il en est besoin, le parti communiste, ou tout at1tre parti qui, en temps de crise, chercherait son inspiration ou ses ordres à l'étranger, ou tenterait d'instaurer un régime autoritaire. Mais destiné à réprimer, il aboutit à cette curieuse conséquence que la liberté des partis est désormais inscrite dans la Constitution*. Or on eût sans doute gardé le silence sur ce point si l'on avait songé à institutionnaliser chez nous, dans un avenir proche ou lointain, le système des deux partis. Si en effet on jugeait souhaitable ce système, il serait parfaitement concevable qu'on ne laissât pas entièrement à la nature des choses le soin de le réaliser, et qu'on prît aussi quelques précautions contre un éventuel totalitarisme à l'intérieur d'un des partis. Quoi qu'il en soit, il ·apparaît que ce n'est point pour organiser la fonction parlementaire qu'on est revenu à ce scrutin d'arrondissement à deux tours qui, sous la IIIe République, avait si amplement fait la preuve de sa nocivité. En fait, c'est encore dans le livre cité de M. Debré qu'on trouvera l'explication de ce choix. « L'arrondissement, écrivait-il, a· été successivement l'arme des conservateurs contre les républicains, des républicains modérés contre les radicaux, des radicaux contre les socialistes, des socialistes contre les communistes. » Il est à peine besoin de souligner que M. Debré s'indignait qu'on • En voici le texte : « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. » Cet article n'apparaît pas dans l'avant-projet. Il semble que les deux premières phrases ne soient là que pour introduire les restrictions de la troisième. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL choisît un mode de scrutin dans la seule intention de satisfaire des ambitions• électorales, et sans prendre souci des nécessités gouvernementales. Et pourtant, il a à présent cédé au temps, car le mode de scrutin adopté n'a d'autre but que de tenir en échec le parti communiste et n'est, à cet égard, qu'une amélioration du système des apparentements : c'est en effet parce que ce système avait échoué que l'on a vu le scrutin de la IIIe République retrouver une audience, et reconquérir si rapidement la faveur de notre personnel politique. On dira que si l'adoption de ce mode de scrutin n'était qu'une manœuvre électorale, le succès, du moins, a justifié la manœuvre. Cela n'est pas certain. En gagnant une bataille, on n'a pas pour autant gagné la guerre. En fait, le passé, ici, répond de l'avenir, et il nous enseigne que ce mode de scrutin n'a pas permis longtemps aux conservateurs de contenir les républicains, aux modérés de tenir en échec les radicaux, aux radicaux d'éloigner les socialistes du pouvoir, ni aux socialistes d'éliminer la représentation communiste. A chaque époque, on a cherché à écarter du jeu politique l'extrême gauche du moment. C'est elle, pensait-on, qui viciait le jeu politique, y répandait la confusion, empêchait de gouverner sainement. Il y a là une erreur éviden~. Ce n'est pas l'extrême gauche qui crée la confus_ion,mais la confusion qui cré~ l'extrême gauche. Bien ou mal gouvernés, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Belgique, la Hollande et bien d'autres pays ont du moins un jeu politique clair. Aussi le corps électoral n'y .connaît-il point ces déceptions qui poussent le nôtre à l'extrémisme. Le ministère a gagné une bataille, mais on peut être assuré que la France perdra la guerre selon cette loi implacable de notre vie politique qu'en I 947 entrevoyait M. Debré. C'est en effet toujours l'extrême gauche qui l'emporte, selon un mécanisme qui n'a rien de mystérieux. La gauche se divise toujours en deux groupes dont l'un représente pour les modérés une opposition tolérable, une opposition qui accepte le régime, l'autre une opposition intolérable, hostile au régime et qui lui est en quelque sorte extérieure. ·On pou,rrait les désigner par les noms de gauche intérieure et gauche extérieure. Celle-là se déclare périodiquement incompatible avec celle-ci, mais l'incompatibilité n'est que relative, et essentiellement gouvernementale. En fait, sur le plan gouvernemental, la gauche intérieure craint tellement la gauche extérieure qu'elle finit toujours par s'entendre avec les modérés. Sur le plan , électoral, il en est tout autrement. Si la gauche intérieure a participé au gouvernement, elle se présente devant les électeurs comme une force autonome. Mais si les modérés ont gouverné seuls, la coalition électorale des deux gauches est presque inévitable : l'électorat de gauche, qui est en grande majorité cc intérieur » ( car il soul1aite un gouvernement de gauche plutôt

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