Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

YVES LÉVY romaine. Personne en effet ne semble plus qualifié que lui pour restaurer le règne de la loi : s'il nous faut tous les quatre ou cinq ans faire appel à un sauveur, le chef de l'État en fonction a, à coup sûr, plus de titres à en jouer le rôle que, comme nous avons eu l'occasion de le voir, quelque vieux retraité de la politique ou de l'armée. Ce qu'il y avait de plus remarquable dans notre ancien système, c'est, nous l'avons noté, que les chefs de gouvernement soutenus par une majorité classique avaient souvent moins de pouvoir que les chefs qui, soutenus par la majorité artificielle plus ou moins bien fondue dans le creuset des crises, n'avaient, au fond, qu'une minorité avec eux. On devait donc naturellement penser à éviter les crises en fondant d'une façon normale l'existence du ministère sur l'absence d'une majorité hostile plutôt que sur la présence d'une majorité favorable. C'est d'ailleurs une idée qui mûrissait depuis plusieurs années. L'essentiel de la rénovation constitutionnelle tient donc dans les points suivants : , a. On a créé une fonction de chef de l'Etat, chargé de garantir la permanence du régime, en résolvant ·1es crises de régime qui depuis plus de trente ans se succèdent en France au rythme d'une tous les quatre ou cinq ans. C'est là saris doute le point le plus mal compris de la nouvelle Constitution, car il s'agit d'une fonction dont la nature même ne semble pas avoir été sérieusement analysée par les spécialistes du droit constitutionnel. Il ne peut cependant être question d'en faire ici l'histoire et la théorie. · b. On a créé une fonction gouvernementale calquée sur ce qui existe en Angleterre. Gouverner ne signifie plus exécuter les décisions du Parlement, mais assumer toute la responsabilité du pouvoir sous le contrôle du Parlement. D'autre part, on a donné de meilleures chances de durée au gouvernement en ne l'obligeant à s'en aller que si l'opposition a un visage net et une suffisante cohésion. La fonction parlementaire ET pour créer cette fonction parlementaire qui doit compléter les deux autres et qui, en France, jusqu'à présent, a été plus mal exercée encore que les deux autres, pour créer la fonction parlementaire, qu'a-t-on fait ? Rien, ou du moins rien d'efficace. C'est là le point faible de notre nouvelle Constitution. Et c'est cela aussi qui explique qu'un esprit hâtif ait parlé d'orléanisme. Dans la pyramide dont nous parlions, on a assez bien conçu et remis à neuf les deux étages supérieurs. La base a été quelque peu négligée. Il est vraisemblable que l'édifice tout entier en souffrira considérablement. Cette négligence ne semble pas traduire une hostilité à l'égard de la nation et de sa représentation. Certaines dispositions constitutionnelles, on l'a dit, ont réduit l'importance du Sénat au Biblioteca Gino Bianco • 263 profit de l'Assemblée nationale, dont le caractère démocratique est plus accusé. Et ce qui montre le plus clairement les intentions prof ondes de M. Debré à l'égard de l'Assemblée, c'est ce combat désespéré et si inutile qu'il livra - et perdit - lorsqu'il voulut contraindre l'Assemblée à se diviser en une majorité et une opposition. Il a donc bien aperçu l'essence de la fonction parlementaire, qui est d'assurer au gouvernement et la durée et la légitimité démocratique, et ne peut être correctement exercée que s'il y a une majorité stable, aux contours nettement définis. C'est d'ailleurs pourquoi l'on peut affirmer que nous n'avons, en France, presque jamais eu de gouvernement véritablement démocratique. C'est le vote de la nation qui, en Angleterre, décide du gouvernement. Chez nous, jusqu'à présent, les gouvernements se sont faits et défaits dans les couloirs de nos assemblées, ils se sont fondés sur le dosage des ambitions et le respect des susceptibilités. En cherchant à résoudre le problème au niveau de l'Assemblée, en s'efforçant d'imposer à celle-ci une division qui ne lui est pas naturelle et qui lui est aussitôt apparue comme un corset ou un carcan, M. Debré s'est trompé d'étage. C'est plus bas qu'il faut agir : au niveau de la nation. Tout se passe comme si le général de Gaulle avait eu un sentiment juste de la fonc- , , . tion du chef de l'Etat, M. Debre un sentiment jt1ste de la fonction gouvernementale, et comme s'il n'y avait eu personne pour concevoir clairement la fonction parlementaire. M. Debré attend de l'Assemblée qu'elle lui apporte ce qu'une Assemblée devrait normalement apporter au chef du gouvernement, mais il ne lui a pas imposé les formes qui lui permettraient de remplir sa fonction. PLACÉ entre le corps électoral et le ministère, le député est livré à deux passions fondamentales. Qu'il soit mû par l'amour de son pays, de ses idées, de son parti ou de sa propre carrière, c'est ce qu'il n'y a pas lieu de considérer ici. Ce qui importe, c'est qu'en vertu de sa situation le député ne peut manquer de se préoccuper de sa réélection, et qu'à ce souci s'ajoute souvent l'ambition ministérielle. Le député est par définition un représentant, et la pierre de touche de sa loyauté ou de sa réussite, c'est le renouvellement de sa mission représentative. Comme d'autre part la plupart des ministres sont choisis parmi les députés, il va de soi que nombre de députés se sentent faits d'une étoffe ministérielle et aspirent à servir, au gouvernement, la France, leurs idées, leur parti. On peut donc considérer que, pour les raisons les plus honorables ou pour les motifs les plus banals, ce sont là les deux ressorts qui font agir les députés. Que l'ambition ministérielle, dans le passé, ait été une des sources de l'instabilité ministérielle, la chose était si connue qu'on ne peut être surpris de voir la nouvelle Constitution s'efforcer d •

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