Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

130 dûment machiné pour combattre un « trotskisme » imaginaire, pour activer la « bolchévisation )) des partis communistes, il ne fut qu'un simulacre. * )f )f STALINE n'avait jamais pris aucune part à la vie de l'Internationale et pour la première fois, au cinquième Congrès, il vint rôder dans les coulisses. Avec Zinoviev et Kamenev, il s'était mis à domestiquer peu à peu le parti communiste de son pays ; avec Zinoviev et Boukharine, il allait domestiquer de même l'Internationale. Maître de l' « appareil » de l'un, il prendrait aisément possession de l'autre, subordonné d'abord, puis réduit à l'état d'appendice. Les méthodes de circonvention et d'intimidation, les procédés de corruption et de perversion qui faisaient leurs preuves à l'intérieur serviraient à peu près autant à l'extérieur où, cependant, les militants fourvoyés pouvaient se ressaisir et se soustraire à une tutelle dégradante. Il va de soi que la déchéance du bolchévisme et l'avilissement parallèle du communisme international n'ont pas eu lieu du jour au lendemain, encore que les phases transitoires fussent vite franchies, de Lénine en Staline. Cette histoire reste à écrire*, mais il suffit pour l'anniversaire en question d'en retracer les grandes lignes. Jusqu'au quatrième Congrès, Trotski avait été le second inspirateur de l'Internationale, en étroite collaboration avec Lénine, il en a rédigé de sa main tous les manifestes : Staline entreprit de le discréditer, de le déshonorer, de l'assassiner. Zinoviev, Boukharine et Radek étaient les dirigeants pratiques du Comité exécutif : Staline fit torturer et mettre à mort les deux premiers, périr lentement le troisième dans une geôle obscure, en même temps qu'il exterminait presque tous les compagnons de Lénine. Les principaux militants russes des organisations internationales, Tomski, Chatskine, Safarov, Piat11itski, Lozovski et de moindres disparurent au cours * On consultera avec grand profit, en attendant, l'ouvrage de Branko Lazitch : Lénine et la IJJe Internationale (Neufchâtel, Éd. de la Baconnière, 1951), préfacé par Raymond Aron. La documentation en est très sûre et l'auteur fait preuve d'une objectivité vraiment louable dans l'analyse des faits et des idées. Sur la même période d'histoire du communisme contemporain, il y a lieu de consulter aussi les souvenirs d'Alfred Rosmer : Moscou sous Lénine (Paris, Éd. Pierre Horay, 1953), préfacés par Albert Camus. Livre d'un témoin dont la véracité est incontestable et d'un participant que l'on peut parfois contredire sans cesser d'estimer. Il faut enfin mettre le lecteur en garde au sujet des deux livres (en anglais et en allemand) de Franz Borkenau sur le communisme, absolument inutilisables, tissés d'erreurs, bourrés d'affirmations fausses, et où même les détails insignifiants ne méritent aucune créance. Voir le compte rendu critique intitulé : Sur l'histoire du communisme, illustré de nombreux exemples, dans le B.E.J.P.J. (Bulletin de l'Association d'études et d'informations politiques internationales), n° 129, Paris, 16 avril 1955. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL de sanglantes « purges » successives. Les militants internationaux réfugiés en Union soviétique, Eberlein, Bela Kun, Fritz Platten, Remmelé, Warski, Waletski, Vouïovitch, beaucoup d'autres moins notoires subirent le même sort. Les cadres supérieurs des partis comm11nistes de Pologne, de Yougoslavie et d'Espagne, des centaines de militants qui séjournaient en Russie furent massacrés par .ordre du despote. Tous les fondateurs de l'Internationale, exclus ou démissionnaires, avaient quitté le « Comintern » ; il ne resta sous Staline que des instruments, des prostitués, des mercenaires. Personne au monde, semble-t-il, n'a compris que la IIIe Internationale n'existait plus depuis la fin de Lénine, ni que sous un même nom et derrière une même façade n'a subsisté en vérité pendant vingt ans que le prolongement servile d'un système terroriste et policier incarné en Staline. Cet état des choses dure encore car en 1943, si Staline a supprimé l'enseigne de l'entreprise, cela n'a rien changé à la situation de fait qui consiste en ramifications del'« appareil» soviétique au-dehors. Sous l'étiquette conservée de parti communiste, ce sont les traits de ressemblance frappante avec le fascisme et le nazisme qui caractérisent le phénomène. Si l'on veut chercher du socialisme chez Staline parvenu au pouvoir suprême, c'est le national-socialisme de Mussolini et surtout d'Hitler que l'on trouve, et il n'y manque même pas le racisme. La !ère Internationale n'avait pu survivre à la guerre de 1870. La IIe Internationale n'a pas survécu à la guerre de 1914 (ce qui prétend lui succéder ne mérite point qu'on s'y arrête). L'une et l'autre étaient pourtant, selon une formule classique, << l'œuvre des travailleurs euxmêmes ». La IIIe Internationale, création d'un utopiste qui croyait devancer les intentions latentes de la classe ouvrière, n'a pas attendu la guerre de 1939 pour disparaître, étant morte avec Lénine, en dépit des apparences. La IVe Internationale conçue par Trotski à l'instar fâcheux de la précédente n est prise au sérieux que par ses rares sectateurs. Avec du recul, les raisons de ces faillites consécutives apparaissent dans leur évidence et ce sont des principes abstraits du socialisme marxiste que dément l'expérience historique, non l'humanisme transmis par la tradition dont se réclamait Lénine avant de différencier la fin et les moyens, de prétendre réaliser la démocratie sociale par la dictature illimitée des révolutionnaires professionnels, de vouloir remédier à la guerre impérialiste par la guerre civile. Dans la complexité du réel, la filiation indéniable et la solution de continuité s'avèrent compatibles, de Lénine en Staline. Il importe d'en prendre pleine conscience pour discerner la part d'inconscience et celle de cynisme dans la ·pl1raséologie pseudo-communiste des , . ep1gones. B. SOUVARINE.

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