B. SOUV ARINE cadres, après deux années d'éducation et de propagande en sens contraire, mais à travers maintes vicissitudes la majorité des militants se ralliait en définitive à ses dirigeants renommés, non sans rébellion des uns et défection des autres. Les nécessités de l'État soviétique, tant intérieures qu'extérieures, pesaient de plus en plus sur le parti communiste au pouvoir et lui imposaient des révisions idéologiques successives, mal déguisées en variations tactiques au service d'une doctrine et d'une stratégie prétendues immuables. Il fallut à Lénine toutes ses ressources de dialectique verbale et son grand ascendant personnel pour justifier les «tournants » et les volte-face de sa politique, d'un congrès à l'autre. EN FAIT de « tactique offensive», la marche inconsidérée de l'armée rouge sur Varsovie, suivie d'une retraite désastreuse en 1920, lourde erreur de Lénine commise contre l'avis de Trotski et de Radek, eut pour effet d'induire les communistes à plus de prudence et de leur rendre un certain sens de la mesure. L'année suivante, quand Moscou eut à choisir entre la solidarité avec le parti communiste turc et l'entente avec Mustapha Kemal, l'intérêt de l'État soviétique conseilla de sacrifier les «frères» de Turquie (seize dirigeants ont alors été mis à mort et le Parti hors la loi) plutôt que de renoncer à une carte diplomatique utile ; le précédent éclaire bien des épisodes, bien des «contradictions» soviéto-communistes ultérieures. En 1921, le soulèvement populaire de Cronstadt, que Lénine fit mater par Trotski que secondait Toukhatchevski, soulèvement à la fois prosoviétique et hostile à l'absolutisme communiste, coïncidant avec de graves émeutes paysannes, détermina pour la République des Soviets le revirement profond appelé nep (nouvelle politique économique) et qui ne pouvait pas ne pas affecter l'ensemble de la politique communiste. En théorie, le r,arti bolchévik se donnait comme section de 'Internationale ; en pratique, l'Internationale acceptait comme inévitable l'hégémonie de cette section exceptionnelle dont la supériorité s'affirmait sous tous les rapports. L'avènement du fascisme en 1921, déjouant les espoirs mis sur le parti communisme italien, si vivant et nombreux à l'époque, ne pouvait qu'accentuer la tendance générale que Lénine imprimait alors au mouvement dont il était le chef reconnu. Une autre défaite contribua la marne année à cette évolution, celle de l'insurrection que mena Max Hoelz en Allemagne centrale et où Zinoviev et Bela Kun avaient leur large part. Mais le principal événement qui pressa Unine d'opérer plus carrément son « tournant» soi-disant tactique fut la grande famine Biblioteca Gino Bianco 129 de 1921 calamité imputée par les bolchéviks à des causes exclusivement climatiques alors que leurs responsabilités n'en étaient pas absentes. Sur l'initiative de personnalités libérales, a Moscou, notamment de Serge Prokopovitch et de Catherine Kouskova, un «Comité de secours aux faméliques » put se former ; à ses appels, la généreuse réponse d'institutions américaines «bourgeoises» ou religieuses sauva des millions de vies humaines. D'autre part, l'Internationale communiste était mobilisée pour obtenir le concours bénévole des «traîtres», c'est-à-dire des socialistes, des trade-unions, des syndicalistes à l' œuvre humanitaire qui primait les antagonismes politiques. Ce fut la première expérience de «front unique » appliqué, en attendant d'autres occasions favorables. Lénine avait capté l'adhésion de ci-devant syndicalistes et libertaires avec son livre sur L'Etat et la Révolution qui doctrinait l'égalitarisme économique sous le régime socialiste, la suppression de la bureaucratie, de la police et de l'armée permanentes, ..e.t qui promettait le dépérissement graduel de l'Etat jusqu'à sa disparition complète sous le communisme. Il qut ensuite leur donner des leçons d'habileté politique et de conduite manœuvrière dans sa brochure sur La Maladie in/antile du c~mmunisme, qui critiquait vertement les impatiences et les maladresses du communisme «de gauche ». Sous son inspiration, le Comité exécutif ne cessa de réagir contre ce qu'il était convenu d'appeler l'opportunisme de droite et l'inopportunisme de gauche, contre le réformisme à droite et le sectarisme à gauche. La « ligne juste» ne pouvait être que celle des chefs prédestinés, Lénine et Trotski en tête, assistés d'auxiliaires de moindre envergure. M1is quand Lénine tomba malade en 1922, l'existence même de l'Internationale se trouva implicitement mise en question : une lutte intestine sans merci se livrait déjà «au sommet» du parti bolchévik pour la succession du fondateur et allait impliquer malgré eux tous les partis communistes du monde. Au quatrième Congrès (1922), entre deux attaques d'un mal incurable, Lénine prit la parole brièvement pour la dernière fois devant cet auditoire et surtout pour conseiller à ses camarades étrangers de ne pas copier l'exemple russe, outre de se mettre à l'étude. Il était trop tard. L'Internationale sans Lénine se transformait singulièr<!ment vite en « appareil » soumis aux ordres du parti bolchévik et son président, Zinoviev, pouvait se permettre des actes dont il ne répondait qu'à huis clos dans le cercle restreint du Politburo de Moscou. L'attentat de la cathédrale de Sofia en 1923, le putsch. d'Esthonie en 1924 montreront de quoi il était capable. A la mort de Lénine en janvier 1924, l'Intern3tionale communiste tenue dans l'ignorance complète de ce qui se tramait dans l'ombre au Kr mlin faisait déjà figure de figurante. Son cinqui me Congrès (1924) ne méritait guère ce nom et,
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