Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

ÉQ!IIVOQQES DU PROGRESSISME par Léon Etnery .-- OMPROMIS en des aventures qui souvent défient toute analyse, les termes les plus usités - et surtout ceux du langage politique - se chargent à notre époque de mille significations parasitaires ou trompeuses; preuve en soit la difficulté qu'on a de se faire entendre quand on veut parler avec précision du socialisme, du communisme ou du progressisme. C'est de celui-ci que nous voulons encore nous occuper; pour dissiper les nuées dont il s'entoure, il paraît légitime de recourir à un exemple plus éclairant que toute dissertation générale et qui, d'ailleurs, se situe au plus haut. Nul n'ignore quel bruit fit en notre temps un savant Jésuite désormais illustre, le P. Teilhard de Chardin ; il a ses détracteurs méfiants ou passionnés, ses admirateurs enthousiastes, ses disciples fanatiques ou dévots. On n'a pas la prétention d'exposer ou de juger ici ses œuvres scientifiques ou philosophiques; notre propos est de considérer certaines incidences possibles de ses écrits ou, pour dire crûment les choses, d'examiner s'il est permis de le classer parmi les progressistes. Si l'on use de cette désignation en un sens étroitement partisan, la réponse ne saurait être que négative. Le P. Teilhard s'est toujours abstenu de participer aux luttes politiques et d'autant plus aisément qu'il vivait loin de France ; il a refusé sa signature à tous les appels qu'inspiraient les hommes de Moscou et notamment à l'« appel de Stockholm» au sujet de la bombe atomique; il a constamment fait preuve envers son ordre comme envers le Vatican d'une parfaite soumission. Les sentences portées par lui contre le marxisme sont d'une netteté qui récuse tout essai de sollicitation frauduleuse. Il est piquant enfin de rappeler qu'on le soupçonna de racisme parce qu'il ne croyait pas à l'égalité des races, se montrant fort att?ché à la culture occidentale et, par surcroît, à la civilisation américaine dont il parle avec la plus vive sympathie. Comme on ne trouve rien dans ses livres ou ses lettres qui s'accorde avec les déclamations sentimentales d'une propagande irréfléchie,on ne voit pas cornBiblioteca Gino Bianco ment, en stricte logique, il pourrait être annexé ou revendiqué par le progressisme politique. Et pourtant c'est inévitable, car il y a une fatalité dans les mots et une irrésistible puissance dans les équivoques qu'ils entretiennent. Ne suffit-il pas que le P. Teilhard soit l'inventeur d'une des plus audacieuses philosophies du progrès qui fût jamais et qu'il l'ait tendue comme un merveilleux arc-en-ciel entre la science et la mystique ? Géologue et naturaliste, écrivain visionnaire, il est le poète de l'évolution universelle et créatrice ; il voit s'opérer une cosmogénèse qui, de sphère en sphère et par obéissance à une loi de finalité, nous emporte vers l'ultrahumain et prépare le règne du Christ cosmique vers lequel tout converge. En une perspective beaucoup plus rapprochée, nous voyons déjà grâce à la technique et aux brassages des peuples se constituer l'humanité totale et par elle, en elle, une conscience collective qui rayonne et rayonnera bien plus de lumière que la conscience individuelle. Ainsi, des premières granulations de matière à la surhumanité et au règne divin se manifestent des montées convergentes qui ne cessent de s'amplifier et de s'accélérer. Des précautions prises par le Père pour établir entre son système et les dogmes chrétiens d'indispensables liaisons, ou bien pour nous rassurer quant à la permanence de la personnalité, il ne nous appartient pas de parler, sinon pour souligner qu'on n'y saurait chercher la moindre trace de ruse, nul n'ayant jamais mis en question sa foi · ou sa bonne foi. Mais essayons maintenant de définir le retentissement d'une doctrine aussi exaltante en des esprits qui ne disposent ni du savoir du maître, ni de sa culture morale et théologique, ni de son désintéressement, ni de son artitude à compterparmillénaires ou par millions d années. Ils apprennent que la matièreenveloppe le spirituel et même le divin, que la terre est sacrée, que l'effort humain l'est aussi, que la recherche et la conquête R.arla science sont des impératifs absolus, que 1humanité marche vers son unification et son apothéose. N'est-il pas clair pour le P. Teilhard lui-même que toutes •

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