128 Luxembourg. La tragique défaite de son parti et l'assassinat de ses chefs au mois de janvier précédent n'étaient pas de bon augure. Néanmoi~s la décision fut prise sous la pression des circonstances : l'optimisme des bolchéviks exaltés par leur victoire d'Octobre, les informations peu sûres mais stimulantes reçues d'Europe centrale, la force de conviction et de persuasion qui animait Lénine et ses proches, enfin l'intervention inespérée d'un délégué venu d'Autriche in extremis firent leur effet et levèrent les doutes, convainquant les sceptiques. « L'incendie de la révolution mondiale » allait gagner de proche en proche, affirmait Lénine avant la conférence, avec son accent irrésistible de certitude. Après le congrès, il prédit sans hésiter la « dictature du prolétariat » dans tous les pays et la prochaine « République fédérative 11niverselle des Soviets ». Son fidèle Zinoviev écrivait au lendemain du congrès improvisé : « La IIIe Internationale a déjà pour bases principales trois républiques des Soviets : en Russie, en Hongrie, et en Bavière. Mais personne ne s'étonnera si au moment où ces lignes sortiront des presses, nous avons non plus trois, mais six républiques des Soviets ou peut-être davantage.» La République soviétique hongroise ne put tenir que quatre mois et la bavaroise n'avait duré qu'une semaine. Cependant de tels échecs ne pouvaient ramener aux réalités les vainqueurs de la guerre civile russo-russe, trop assurés d'avancer dans le sens de l'histoire. Les communistes de ce temps étaient en grande majorité des socialistes révoltés par la guerre, excédés de parlementarisme stérile, et mêlés de syndicalistes ainsi que de libertaires « politisés » par le pacifisme. Ils ignoraient les doctrines de Lénine sur la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile» et sur le nationalisme séparatiste que n'avaient d'ailleurs pas admises la plupart des futurs idéologues du régime soviétique, pour ne nommer que Trotski, Boukharine, Radek, Racovski, Piatakov, Lounatcharski, Riazanov, Pokrovski, Manouilski, - à l'exception du seul Zinoviev, écho de son maître. La notion de « révolutionnaires professionnels» leur était également étrangère, notion spécifiquement russe et mise en œuvre pour s'emparer du pouvoir dans un pays arriéré, dépourvu d'armature sociale, mais inconcevable ailleurs et qui, même en Russie, ne devait aboutir bientôt qu'à une technique de domination sans âme, exercée par un « appareil» d'oppression et d'exploitation de l'homme par l'homme ayant vite oublié ses principes originels. Les idées _et les pratiques courantes du léninisme, version très simplifiée et russifiée du marxisme, marquèrent peu à peu les jeunes adhérents, zélateurs idéalistes du nouvel ordre politico-social, aussi modestes qu'inexpérimentés, voire leurs compagnons moins jeunes mais sans plus d'expérience. Nul ne prévoyait comment ce façonnage approximatif d'esprits ralliés par le sentiment plus que par la réflexion BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL et l'étude allait subir les épreuves de la vie politique dans le chaos de l'époque. LÉNINE et son entourage avaient acquis un prestige imll).ense en inspirant et dirigeant un coup d'Etat transformé en révolution victorieuse, puis en créant et affermissant le premier État qui se définît comme socialiste et prolétarien. Leur ascendant sur les novices et sur des groupes aux vues confuses ne réalisa pourtant pas l'unité « monolithique » qui devint obligatoire quelques années plus tard. Il y eut des courants d'opinions, des controverses ardentes, des fractions et des tendances, des scissions et des ruptures, des exclusions et des dissidences. Il y avait une droite, une gauche, un centre et des nuances intermédiaires. Parallèlement au Comité exécutif siégeant à Moscou, un Bureau auxiliaire fonctionna quelque temps à Amsterdam, dirigé par Henriette Roland-Holst, S. J. Rutgers et O. J. Wynkoop, non sans désaccords avec le principal organisme directeur. D'un congrès à l'autre et de crise en crise intérieures, la IIIe Internationale s'assagissait et se libérait du romantisme initial, évoluant avec un réalisme relatif, gagnant en maturité politique. Dans son dernier discours, très significatif, prononcé devant le dernier congrès communiste international en 1922, Lénine dit et répéta : « Nous avons seulement commencé d'apprendre .... La principale tâche du moment consiste pour nous à toujours apprendre, et encore à apprendre... L'essentiel dans la période qui commence, c'est d'apprendre ... » Le premier Congrès (1919) avait été celui des illusions suscitées par l'écroulement de trois grands empires, ce qui fit confondre aux bolchéviks la caducité de certaines structures monarchiques avec la fin du capitalisme. Le deuxième Congrès (1920) était encore mû par l'espoir tenace d'un regain d'action révolutionnaire dans une Europe instable et persistait à spéculer sur une « tactique offensive» du prolétariat contre l'ordre établi. Le trojsième Congrès (1921) renonça aux aventures vouées à l'échec et prescrivit aux communistes d' ~< aller aux masses », ce qui en pratique ne voulait rien dire, de gagner la majorité de la classe ouvrière, ce qui était plus facile à dire qu'à faire. Lénine avait inculqué le dogme à ses disciples, la rigidité des principes, l'intransigeance dans les rapports personnels ; il se mit à enseigner la souplesse, la manœuvre, le louvoiement, l'art du compromis. Il dut bientôt concrétiser une nouv~~e P?liti9ue et, sous son impulsion, le Com1te executtf de la IIIe Internationale proclama 1~ nécessité d'un_ « fr?nt unique » des c?~urustes a~ec les partis socialistes et les orga- ~sat1ons syndical~s d~nt il avait âprement et , 1n1assablement denonce les «trahisons» mul- . tiples, la dégénérescence incurable. · Tout cela ne.paraissait guère cohérent ni logique au rank and file, ni même à une bonne partie des
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