176 et occidentale, est née en France il y a moins de deux cents ans ; et une grande partie de l'humanité en est encore à des formes de groupement très différentes - quelles que soient les proclamations de certains «nationalismes» à la mode. Mais il ne s'ensuit nullement que les Berbères (comme tant d'autres peuples de structure et de mentalité analogues) ne constituent point une collectivité ethnique sui generis, consciente d'ellemême à sa façon, donc capable, dans certaines circonstances, de produire une ou plusieurs nationalités distinctes et viables, dans un sens même moderne. Car après tout les nations le mieux caractérisées, y compris la France, sont toutes issues plus ou moins récemment de formations prénationales, parfois aussi inconsistantes, désunies, négligeables (selon les critères de M~ Bousquet 4 ) que celles de la Berbérie. L'avenir est toujours gros de surprises. L'image idéale de !'Hellade antique - chaos on ne peut moins national de cités indépendantes et mutuellement hostiles - a pourtant réussi à polariser la réalité moderne d'une nation grecque 1inie. Le mythe grandiose d'Israël - simple ligue de tribus à l'âge du bronze, puis royaume hébraïque parmi d'autres à l'âge du fer - s'est incarné de nos jours en un Etat national d'Israël. Pourquoi le passé archaïque de la Berbérie excluraitil a priori de telles métamorphoses 5 ? Pour qu'elles soient possibles, il suffirait peut-être que se forme et s'accrédite une idée un peu plus positive de l'histoire berbère, idée qui serait moins artificielle et moins mensongère que cette mythologie arabe à l'aide de laquelle on tente de galvaniser les divers mouvements pseudo-nationaux du panarabisme. L'avenir, dit-on, est sur les genoux de Jupiter. Mais M. Bousquet, . qui est dans la confidence des dieux, en parle avec l'assurance la plus tranchante (p. 116) : En ce qui concerne l'avenir, et comme, depuis treize sièçles, la Berbérie subit l'assaut des institutions musulmanes et de la langue arabe, il est exclu que les îlots subsistants puissent se grouper, et il me paraît tout aussi impensable que, soit les Berbères du Moyen Atlas, par exemple, soit ceux de la Grande Kabilie (sic), puissent, même à cette échelle restreinte, accomplir une œuvre constructive propre dans le domaine politique ou intellectuel : toutes les conditions de la vie moderne... (voies de communication, presse, radio, écoles françaises) permettent de penser ... qu'ils seront 4. Celui-ci a la marotte de l'unité la plus plate; pour lui « l'histoire de l'Afrique du Nord est (...) fort ennuyeuse, parce qu'elle manque d'unité ... ». D'ailleurs « l'histoire politique des petits États en Italie et en Allemagne est, elle aussi, peu intéressante» pour la même raison (p. 29). S. Pour ce qui est des renaissances linguistiques, M. Bousquet cite pourtant (p. 82) les « exemples d'efforts faits pour revenir consciemment à la langue nationale (Irlande), efforts dans certains cas couronnés de succès (Israël) ». Ce succès-là, imprévu des sceptiques, se réalisa très rapidement dans des conditions bien plus défavorables a priori que celles de la Berbérie, où il n'y a pas moins de 7 millions de berbérophones (dont près de 3 millions en Algérie et 4 millions au Maroc). Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOC/Al voués, un jour lointain, à l'absorption par le milieu arabophone (et peut-être, en Algérie, par le milieu français). Ce qui revient à dire qu'à force d'arabiser les Berbères ils finiront par s'arabiser - bien qu'on espère aussi, illogiquement, qu'ils se francisent du même coup. De toute façon c~ n'est pas pour demain : car «lorsqu'on voit la persistance de groupements linguistiques berbères (..•) il semble établi que ce processus pourrait durer encore très longtemps. La vitalité berbère est un fait» (ibid.). Un fait dont M. Bousquet ne veut tenir aucun compte, afin de pouvoir conclure sur la note de dénigr~ment par laquelle il avait commencé. En sorte qu'il termine son réquisitoire peu convaincant en faisant sienne l'une des observations les plus contestables d'E.-F. Gautier : la Berbérie serait « le coin le plus attardé du monde méditerranéen, le pays des Barbares blancs » 6 • UN AUTRE ouvrage un peu moins récent que celui de M. Bousquet est cependant plus instructif et en tout cas plus agréable à lire, signé d'un nom - ou pseudonyme - bien berbère : Mtouggui. Mais ce « barbare » pourrait donner des leçons de composition française au professeur civilisé qui, sans trop l'avouer, prend le contrepied de ses thèses, quand il ne les décalque pas jusqu'à la caricature 7 • L'idée maîtresse de M. Mtouggui est simple : puisque les Berbères font preuve depuis si longtemps de tant de vitalité, c'est qu'ils existent et il y a lieu d'en tenir compte. Idée recevable, ·dans les limites du bons sens. Malheureusement, l'enthousiasme de l'auteur pour la Berbérie indigène (sympathie qui manque visiblement à son collègue algérois) le conduit à une vue outrancière de la vérité. Si pour M. Bousquet les Berbères n'ont qu'une importance négative, pour M. Mtouggui ils sont au contraire le dénominateur . commU)l et positif de toute l'Afrique du Nord. II y a là aussi une exagération, quoique de sens inverse : un « panberbérisme » à peine voilé. Certes M. Mtouggui est moins dogmatique que son confrère ; plus nuancé, donc plus réa6. Berbères et « barbares », combien de fois n'a-t-on pas joué gratuitement sur ces deux termes ? M. Bousquet, après tant d'autres auteurs mal éclairés, présente ce jeu de mots comme une étymologie certaine (dès la p. 8), sans avertir le lecteur qu'elle n'est nullement acceptée de tous les spécialistes. 7. Une seule fois, et sur un ton plutôt méprisant, le profr Bousquet (op. cit., p. 43) mentionne l'« universitaire qui, sous le pseudonyme de Mtouggui, a voulu écrire une Vue générale (•..) dont je ne partage d'ailleurs pas du tout les tendances ». Mais il copie, sans le dire, bon nombre des erreurs de M. Mtouggui, notamment en ce qui concerne l'influence - minimisée jusqu'à l'absurde - de la Carthage punique, puis romaine et enfin chrétienne (si bien mise en évidence par Gautier, après d'autres).
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