QUELQUES LIVRES liste dans ses appréciations ; moins enclin à parler de ce qu'il ne connaît pas. Quoique là encore on puisse lui reprocher des lacunes, dont on ne relèvera ici qu'une seule, mais ahurissante : à propos de la langue berbère qui - croit-il - « garde le secret sur ses origines. Les linguistes les plus audacieux ne sont parvenus à la relier à nulle autre langue», etc. (p. 9). Or s'il est un fait acquis en linguistique comparée, c'est bien la parenté originelle (d'ailleurs évidente pour qui a de ces langues une connaissance tant soit peu sérieuse) entre le berbère et les autres parlers mdigènes de l'Afrique septentrionale et de l'Orient proche - lesquels forment dans leur ensemble la grande famille hamito-sémitique ( ou chamito-sémitique, graphie moins satisfaisante). Néanmoins, ou d'autant plus, on se refusera à suivre M. Mtouggui lorsque, par une simplification qui fausse quelque peu sa théorie, il confond les Berbères - notion d'ethnographie - avec une Berbérie identifiée à tout le Maghreb, à toute l'Afrique du Nord. Bien qu'il s'en défende dès le premier chapitre, il raisonne en géographe plutôt qu'en véritable historien lorsqu'il trace sa perspective générale de l'histoire berbère. A l'opposé de M. Bousquet, la distinction entre berbérophones et autres autochtones lui importe peu : habitants d'une même « Berbérie », ils sont tous peu ou prou « berbères » - d'acclimatation, sinon d'origine. On imagine les conséquences de cette vue cavalière. Il faut convenir qu'elle lui permet de saisir certaines réalités qui échappent à d'autres observateurs, ceux dont la myopie n'aperçoit que de vagues Arabes 8 avec leur islam indifférencié. Aussi M. Mtouggui excelle-t-il à mettre en relief ce qui est imperceptible aux yeux de M. Bousquet : les valeurs berbères de la civilisation maugrébine, le caractère souvent indigène de ses styles, la nature africaine ou occidentale, plutôt qu'arabe, de ses développements même. musulmans. Il n'en reste pas moins que cet auteur tend à annexer à la Berbérie bien des choses, bien des hommes, bien des territoires qui ne lui appartiennent pas en propre, ou qui ne lui appartiennent plus, ou qui ne lui ont appartenu autrefois que sous maintes réserves : notamment la Tunisie (pays métamorphosé dès l'antiquité par la colonisation cananéenne, puis au Moyen Age par l'apport arabo-levantin) et l'Espagne mauresque où les Berbères ne furent jamais seuls à opérer. 8. Nul doute que l'élément proprement arabe soit très faible dans le peuplement de l'Afrique du Nord. Le général Brmond : Berbère, et Arabe,, Paris, Payot, 1942, 392 pp., a m!me voulu démontrer l'impossibilité de toute immigration arabe de quelque importance, soit au début de l'expsmion i,Jamique au Maghreb (VII 8 - v111e siècles), soit plus tard, lors des invasions de tribus bédouines Hilâl et Soleïm (à partir du u• siècle). Son livre mérite d'être relu, malgré let erreurs de dwill qui le déparent; car on n'en tiendra pu rigueur à un militaire qui n'est pas un érudit, mais dont l'expmence directe des choses berbères et arabes, ainsi que le bon sens plein de verve, apportent un témoignage non nqllaeable. Biblioteca Gino Bianco 177 Le relief, grossi ·mais d'autant plus net et frappant, que M. Mtouggui accorde aux faits berbères, l'absence chez lui de cette obsession qui consiste à n'en juger qu'en fonction de leur diversité ou manque d'unité, résulte en un tableau plus satisfaisant que d'autres : le phénomène berbère s'y révèle dans sa continuité non pas uniforme, mais multiforme. Les qualités de ce petit livre sont déjà implicites dans l'organisation des matières et le titrage des chapitres. L'auteur sait qu'il n'y a pas un pays berbère mais, au pluriel, « les pays berbères» (ch. II); que des «Royaumes berbères» s'organisaient dès l'antiquité« dans l'ombre de Carthage et de Rome» (ch. Ill); que « l'adoption de l'Islam » a signifié « le refoulement des Arabes » (ch. VI) ; que «l'Empire berbère » centré sur le Maroc a assuré (malgré ses faiblesses médiévales) « cinq siècles d'indépendance » en somme glorieuse au Maghreb (ch. VIII). Il comprend, et' explique fort bien, dans un chapitre intitulé « La Berbérie centrale et la France » (ch. X), que l'Algérie en tant que telle n'a d'existence que par les Français : ils l'ont créée en la conquérant et la protégeant - d'abord par mégarde, pour ainsi dire ; puis en la colonisant et la pacifiant au sens noble de ces mots ; enfin en l'administrant, en l'organisant - selon les vues d'une optique trop souvent erronée, arabisante. Il y a là d'excellentes pages que tout le monde devrait lire, car elles sont d'actualité. Ici l'on se permettra d'en citer au moins quelques extraits. Les Français du xixe siècle ignorent (...) que le Berbère n'est pas un Arabe. La prédomina...TJ.cdee la langue arabe dans les centres urbains qu'ils connaissent est à l'origine de cette étrange confusion, qui se traduit à l'évidence dans leur terminologie. On ne dit pas les Berbères, ni même les indigènes : on dit les Arabes. Quand on créera des organes de renseignements, on ne choisira pas d'autre nom que celui de « bureaux arabes ». Sous le coup de la même obsession, on cherchera partout une féodalité arabe, de grands chefs arabes ; on méconnaîtra l'existence des communautés berbères, des dialectes berbères, de l'Islam berbère, bien moins porté que l'autre au fanatisme et à la xénophobie, et l'on ne craindra pas d'imposer à des groupements kabyles des chefs réellement arabes. Erreur initiale, à qui, sans doute, ne manquent pas les circonstances atténuantes, mais qui aura les pires conséquences et pèsera longtemps - à supposer qu'elle ait aujourd'hui perdu toute efficacité - sur les rapports de l'Algérie et de la France (pp. 145-146). L'illusion arabe n'est d'ailleurs pas seulement le fait de certains Français, mais aussi de certains Berbères, et M. Mtouggui ne leur ménage pas ses avertissements : Se servir du mot « Arabes », comme on le fait communément, pour désigner les habitants de la Berbérie, c'est tout à fait comme si l'on s'ent!tait à donner 1 nom de «Romains• aux Français, sous prétext qu J ulea asar a conquis la Gaule. 11 y a là une erreur
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