QUELQUES LIVRES d'esprit . quelque peu défaitiste ne dispensent nullement de s'interroger à nouveau sur les choses essentielles qui le préoccupaient déjà. Dans les années récentes deux petits livres d'universitaires algérois (Gautier l'était également) ont paru, dont les auteurs prétendent, chacun à sa façon, donner une vue d'ensemble des Berbères. L'un est de G.-H. Bousquet, professeur à la faculté de droit d'Alger. Sa brochure, comme bien d'autres dans la médiocre collection dont elle fait partie, est d'une lecture malaisée. Car malgré son rang dans le mandarinat, l'auteur ne se donne la peine ni de penser logiquement, ni d'écrire un français correct. Quelques exemples vont donner une idée de sa prose : P. 23 : «11y avait, déjà, des préhomméens en ces régions, il y a des centaines de mille d'années.» Sans doute s'agit-il d'êtres quasi humains, antérieurs aux hominiens (néologisme suffisamment hideux sans qu'on le défigure encore). P. 13, qui présente «le Berbère déberbérophonisé » - c'est-à-dire ne parlant plus son propre patois. (Mais quel patois parle donc M. Bousquet ?) P. 60, où il est question des plus puissantes dynasties berbères du Moyen Age, les Almoravides et les Almohades, on nous affirme : « Deux mouvements religieux, purement berbères, vont, en peu d'années, avoir comme résultat la création d'empires immenses (...) sans que, dans leur œuvre, on puisse déceler quelque chose de spécifiquement berbère ». Mouvements purement berbères sans rien de spécifiquement berbère : • comprenne qw pourra. Il ne s'agit nullement de lapsus calami, mais d'une confusion systématique où la contradiction dans les termes devient une sorte de méthode. Ainsi, p. 64 : «Bien que les Almohades aient fait prêcher en berbère, jamais la langue berbère n'a alors joué un rôle quelconque dans cette civilisation. » Si ce n'était que la forme, on fermerait les yeux, mais il y a le fond, qui fourmille d'erreurs. L'auteur, dont la compétence ne s'étend guère au-delà des limites de la sociologie juridique de l'islam, puise la plupart de ses autres renseignements dans des ouvrages qu'il lit mal et cite de travers. Il nous apprend ainsi (p. 26) la « découverte d'inscri&~ons liby9ues, incontestablement berbères, s le massif du Sinaï et dans le delta du Nil >> - où incontestablement rien n'a jamais été découvert de pareil. P. 38, l'empereur Septime Sévère, «Africain originaire de Tripolitaine », a une sœur qui « ne parlait que berbère lorsqu'elle arriva à Rome». Or, il s'agit de langue punique (dialecte cananéen, tout prochede l'hébreu) et nullement de berbère. Biblioteca Gino Bianco 175 Essayons tout de même de comprendre ce que M. Bousquet s'efforce de dire, puisque sa mentalité est aujourd'hui assez typique de tout un groupe d'intellectuels. Constatant, tout au long des 114 pages de son argumentation spécieuse, que le peuplement de l'Afrique du Nord est essentiellement berbère et l'a toujours été depuis la fin de la préhistoire, l'auteur refuse néanmoins à ces Berbères les attributs les plus élémentaires de l'existence collective, tels que la personnalité culturelle, la cohésion politico-sociale et le sentiment de nationalité. Bref, ces Berbères seraient à la fois tout et rien en Afrique du Nord. Pour en arriver à ces « conclusions », résumées sur un ton péremptoire aux pages 115-116, M. Bousquet a constamment usé de critères arbitraires qui sont autant de sophismes. Ne reconnaissant aux Berbères nul trait d'unité . autre que les « dialectes nettement apparentés» 2 dont ils usent ou ont usé, d'un trait de plume il raye de l'héritage berbère tout ce qui fut créé par ceux d'entre eux qui se trouvaient être« déberbérophonisés » ( ou du moins, bien souvent, bilingues, voire trilingues); c'est-à-dire ceux qui usèrent tour à tour, pour s'exprimer, du punique, du latin, de l'arabe, ou aujourd'hui du français. Il devient alors loisible d'affirmer que les vrais Berbères - réduits arbitrairement aux seuls berbérophones - n'ont jamais exercé d'influence culturelle 3 • Et peu importe que des géants de l'esprit tels que saint Augustin ou Ibn-Khaldoun puissent passer pour Berbères : il suffit qu'ils n'aient point été berbérophones ? A ce compte-là on pourrait tout aussi bien nier l'originalité culturelle des Gaulois, des Francs et de leurs descendants français « déceltophonisés » ou « dégermanophonisés » : en effet, toute leur culture serait d'emprunt, puisqu'elle a pour véhicule une langue étrangère - le latin ou son dérivé le français ? Autre sophisme, dont M. Bousquet se sert constamment pour réduire les Berbères à néant : ils n'ont jamais formé une nation et ne possèdent aujourd'hui aucune conscience nationale. Il est évident que la Berbérie indigène dont l'histoire, ou protohistoire, s'étend sur des millénaires (de l'âge de la pierre à la conquête française), n'a pas dépassé un stade d'évolution médiéval, voire prémédiéval, lequel ne comporte nulle part la formation de nationalités au sens moderne du mot. C'est même là un truisme, une lapalissade; car la Nation, dans sa définition moderne 2. P. 115. L'expression, sous cette forme trop prudente, n'est qu'une demi-vérité. A vrai dire, il s'agit de dialecte d'une seule et même langue, ni plus ni moins cohérente que l'arabe vulgaire aux patois si divers. 3. Ibid. Cela aussi est cont stabl . L berb re (dès son stade « libyque • ou « numidique •) s'écrivait dans son alphabet propre, plusieurs siècles avant l'ère chréti nne, alors que bien peu de langues d'Europe usaient d'kriture. Et la littérature orale des Berb~ea (pour ne rien dir de leurs arts populaires) est loin d'!trc néglig able.
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