Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

Pages oubliées • • LE NIHILISME par Pierre Kropotkine L'introduction enrichissante de vocables et de notions russes dans les langages et les pensées du monde occidentalne va pas sans dangersde confusionset de malentendusdont il importe de se garder quand certaines valeurs essentiellessont en cause. On a déjà trop tendanceà prendrepour russecequi est soviétique ou communiste, et vice versa. Il faut particulièrementobserverles distinctionsnécessaires en usant des termes qui différencientdivers courantsd'opinioncritiqueoumystiqueayant convergé sous les dernierstsarspour miner l'ancien régime. A cet égard la référenceau nihilisme, périodiquement mise à la mode selon les hasardsde l'actualité littéraire, et l'assimilation arbitraire du nihilisme au bolchévismeprésentent des inconvénientssérieux dont il est aisé de se rendre compte en prenant ENDANT ce temps *, un formidable mouvement se développait parmi la jeunesse russe cultivée. Le servage était aboli. Mais pendant les deux cent cinquante ans qu'avait duré le servage, il était né toute une série d'habitudes d'esclavage domestique, de mépris extérieur de la personnalité individuelle, de despotisme de la part des pères et d'hypocrite soumission de la part des femmes, des fils et des filles. Au commencement du siècle, le despotisme domestique régnait partout en Europe à un haut degré - comme en témoignent les écrits de Thackeray et de Dickens - mais nulle part cette tyrannie n'avait pris un développement aussi considérable qu'en Russie. La vie russe tout entière, dans la famille, dans les relations entre les chefs et leurs subordonnés, entre les officiers et les soldats, les patrons et leurs employés, • Cela se passe dans les ann~es 70 du siècle dernier, après la Commune de Paris, au retour du premier voyage de Kropotkine en Europe occidentale où il •'~tait affili~ (en Suisse) à la première Internationale. ( N.d,/.R.) Biblioteca Gino Bianco ·, connaissanceexacte du phénomène intellectuel que le mot évoque. Et pour situer commepour définir le nihilisme authentique, nul n'a jamais été mieux qualifié que Pierre Kropotkine, auteur des plus attachants mémoires publiés au début du siècle (Autour d'une vie) et d'où il nous sembleopportun d'extraire quelques pages oubliées, relatives au nihilisme. Sorti du corps des pages, officier dans l'armée russe, savant géographeet géologue (il a notamment collaboré à la Géographie universelle d'Elisée Reclus), militant révolutionnaire d'une moralité exemplaire, doctrinaire idéaliste du communisme libertaire, historien éminent de la Révolution française, Kropotkine a laissé sur le nihilisme le témoignage d'un homme intègre qui en a pleinement vécu l'expérience théoriqueet pratique. en portait l'empreinte. Tout un monde d'habitudes et de façons de penser, de préjugés et de lâcheté morale, de coutumes engendrées par une vie d'oisiveté, s'était formé peu à peu ; même les meilleurs hommes de cette époque payaient un large tribut à ces produits de la période de servage. La loi n'a pas de prise sur ces choses. Un énergique mouvement social était seul capable de réformer les habitudes et les mœurs de la vie journalière en attaquant le mal dans sa racine ; et en Russie ce -mouvement - cette révolte de l'individu - prit un caractère beaucoup plus énergique et plus impétueux dans sa critique de l'état de choses existant que dans tout autre pays de l'Europe occidentale ou de l'Amérique. Tourgueniev lui donna le nom de «nihilisme» dans son célèbre roman, Pères et Fils, et ce nom fut accepté généralement. Ce mouvement a été souvent mal compris dans l'ouest de l'Europe. Dans la presse, par exemple, on a confondu nihilisme et terrorisme. Les troubles révolutionnaires ~ui éclatèrent en Russie vers la fin du règne d Alexandre II et

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