144 Nakhitchévan commandait toute la cavalerie de la garde impériale. Les universités coraniques étaient florissantes à Kazan, à Oufa, à Bakou, à Bakhtchi.:.Saraï, et l'on a pu parler au début du siècle d'une véritable « Renaissance musulmane », illustrée par des écrivains, des théologiens, des prédicateurs en renom. De nombreux journaux en diverses langues et de nuances multiples paraissaient chez les Kazaks et les Bachkirs, chez les Turkmènes et les Tatares. Dans la seule langue tatare, il n'y avait pas moins de soixante-dix publications musulmanes en 1917. A Kazan, principal centre culturel des Tatares où l'11niversité musulmane comptait 7 .ooo élèves, une grande imprimerie multipliait les éditions du Coran en arabe. Le panturquisme (ou pantouranisme) et le panislamisme se donnaient concurren:iment libre cours. Plusieurs partis politiques traduisaient les aspirations nationales ou religieuses des musulmans, leurs revendications les plus radicales et l' « Union musulmane panrusse », fondée en 1905, partageait les vues des autres organisations démocratiques. La grande majorité des musulmans n'était nullement séparatiste. Dans la guerre contre les Empires centraux (1914-1918), leur loyalisme fut sans reproche. Aussi la révolution de février 1917 eut-elle l'appui du Congrès musulman réuni à Moscou en mai, la même année, où fédéralistes et 11nitaires dirent leur volonté de défendre la « Russie libre». Une autonomie locale relative avait été accordée aux allogènes par le nouveau régime, des unités militaires islamiques tinrent garnison sur la Volga, dans l'Oural et au Caucase. Mais la révolution d'octobre 1917 (bolchéviste) mit bientôt fin à cette période heureuse. Les bolchéviks, qui ne s'appelaient pas encore communistes, avaient proclamé au IIe Congrès des soviets le droit des peuples à se séparer les uns des autres (octobre 1917). Un décret du 2 novembre 1917 sanctionna ce droit, reconnut « l'égalité et la souveraineté des peuples de Russie», abolit « tous privilèges et restrictions d'ordre religieux et national », garantissant « le libre développement des minorités nationales et des groupements ·ethniques» du territoire. Successivement les Tatares, les Kirghizes, les Turkmènes, les Caucasiens entreprirent de former des républiques autonomes au cours des péripéties de la guerre civile russo-russe. Le Conseil des commissaires du peuple lança ( 19 décembre 1917) un appel aux musulmans signé OulianovLénine et Djougachvili-Staline demandant leur soutien immédiat et promettant toutes les libertés futures. Le Coran très-sacré d'Oman, autrefois saisi à Samarkand et déposé à la bibliothèque publique de Saint-Pétersbourg, fut restitué au Congrès musulman de Pétrograd (9 décembre 1917) en gage des bonnes intentions ~oviétiques. Un commissariat aux Affaires musulmanes, ayant deux Tatares et un Bachkir à sa tête, fut institué par décret (19 janvier 1918). Cela n'allait pas durer. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Les ·républiques musulmanes autonomes ou rendues plus ou moins indépendantes par le jeu des circonstances, mais à peine organisées et insuffisamment armées, de formation trop récente pour résister• séparément à la Russie encore relativement puissante, n'eurent qu'une existence éphémère. · Comme l'Ukraine et la Géorgie, sous les coups de l'armée rouge qui venait imposer des soviets et réquisitionner bétail et récoltes, elles succombèrent l'une après l'autre. Au Turkestan, les bolchéviks ne réussirent à vaincre les Basmatchi insurgés qu'en 1922. La grande famine de 1921-1922 fit parmi les Tatares de la Volga, les Bachkirs et les Kirghizes des millions de victimes, chiffres consignés dans les rapports officiels. Et la soviétisation s'accomplit à force de répressions, de spoliations, d'arrestations, de déportations, d'exécutions, de massacres et de terreur. Les musulmans vaincus dans cette lutte inégale et sans espoir éprouvaient à leurs dépens la contradiction absolue entre la théorie fédéraliste et la pratique centralisatrice des communistes, ceux-ci devenus « rassembleurs de terres » (et de populations) comme leurs prédécesseurs au .pouvoir. Mais à bref délai, des bonnes intentions envers l'islam proprement dit, énoncées notamment encore au Congrès des peuples orientaux à Bakou en septembre 1920, il ne restera qu'un • amer souverur. Les allogènes musulmans se soumirent, . en tant que nationalités distinctes, aux volontés inflexibles du nouvel Empire eurasique - soviétique de nom, tyrannique en fait. Leur fameux droit de disposer d'eux-mêmes, affirmé dans tous les textes officiels, mais foulé aux pieds par les nouveaux maîtres sous prétexte de combattre le féodalisme et la contre-révolution, ne subsiste désormais que dans la littérature de propagande. Ils avaient cependant à perdre davantage et les bolchéviks ne tardèrent pas à les empêcher de professer leurs dogmes et leurs doctrines, de vivre selon leurs croyances séculaires. Le pèlerinage à La Mecque et aux lieux saints . des chiites en Perse n'était déjà plus possible, de par l'interdiction absolue de sortir du pays. Des décrets vexatoires s'accumulèrent ensuite qui firent obstacle aux pratiques essentielles de la foi coranique, le jeûne et la prière. Les traditions locales furent annihilées par les exigences de l'État totalitaire, tant en matière d'éducation que dans l'ordre économique. Une stricte réglementation uniforme des conditions de travail et d'existence, voire d'alimentation, le nivellement obligatoire des conditions matérielles et spirituelles au niveau le plus bas, tout le système soviétique allait à l'encontre de la vie musulmane. Des mesures draconiennes tendant à supprimer le repos du vendredi et la célébration des fêtes religieuses, à confisquer les biens waqfs et les propriétés agricoles, à fixer et sédentariser les nomades, etc., mesures imposées en vertu des nécessités préalables à la « réalisation du socia-·
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