352 à propos des mutations des travailleurs, des retenues opérées sur les salaires et des sanctions diverses ; le chef d'une mine alla jusqu'à interdire à ses travailleurs de répondre sans son autorisation à une convocation adressée par le tribunal, la milice ou le ministère public, menaçant de licenciement tous ceux qui passeraient outre. 22 Le phénomène des gains d'appoint est un autre exemple du chaos. Comme le salaire est sensiblement inférieur au coût d'entretien et de renouvellement de la main-d' œuvre, la classe ouvrière se livre, en plus du travail salarié, à de nombreuses activités supplémentaires qui vont du vol à l'usine jusqu'au jardinage, en passant par le trafic d'objets les plus divers. Certaines activités sont tolérées, voire favorisées par les autorités qui parfois même les organisent. Il en est ainsi, notamment, d'exploitations agricoles minuscules pour lesquelles les ouvriers se voient accorder des lopins de terre et toutes sortes de secours par l'entreprise qui les emploie ; le produit de ces cultures couvre une partie plus ou moins substantielle de leur consommation. L'attitude bienveillante du pouvoir envers ces activités extra-professionnelles des salariés s'explique aisément : elles facilitent le maintien des salaires à leur bas niveau. Mieux encore : plus elles se développent, et plus l'État-patron peut comprimer le prix de la main-d'œuvre. Or à partir d'un certain palier, les gains d'appoint tendent à se transformer en revenu principal de l'ouvrier. Celui-ci, comparant à son maigre salaire horaire à l'usine ce que lui rapporte une heure de travail pour son propre compte, en arrive à considérer son emploi comme une corvée. Il s'efforce alors d'y échapper dans la mesure du possible. 23 La déformation du salariat par les trop bas salaires engendre ainsi une force nouvelle qui pousse les salariés à devenir petits exploitants indépendants, trafiquants, etc. Le décret qui en 1956 imposa des restrictions sévères au petit élevage pratiqué par des citadins 24 précisait que cette activité devenait si importante qu'elle détournait une partie notable de la classe ouvrière de ses occupations industrielles. En d'autres termes, lorsque l'effet désorganisateur de la politique officielle atteint certaines dimensions - qu'on ne peut pas, bien entendu, fixer d'avance - la quantité devient qualité. Les limites objectives de l'arbitraire ont été atteintes. Absence d'institutions IL N'Y A en URSS ni ministère du Travail, ni syndicats, ni conventions collectives, ni représentation des intérêts du personnel à l'usine, ni 22. Cf. l'article déjà cité de M. Iakovlev dans Sotsialistitcheski troud, 1958, n° I. 23. Sur cette question des gains d'appoint, cf. « La condition du travail en Union soviétique», Saturne, janvier-mars 1958. 24. Pravda, 29 juin et 28 aoftt 1956. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE même d'inspection du travail proprement dite. Toutes les institutions susceptibles d'assurer à la main-d'œuvre un minim11m de protection et de défense ont été abolies. Le commissariat du peuple au Travail a fusionné, en I 934, avec le Conseil central des syndicats. 25 Or les syndicats, qui perdirent ainsi définitivement leur caractère d'association ouvrière pour se transformer en institution d'État 26 , ne peuvent pas exercer les fonctions héritées du Commissariat dissous. N'ayant ni le rang ni les pouvoirs d'un ministère, ils se trouvent en position subalterne vis-à-vis des grandes administrations économiques qu'ils devraient équilibrer. Bien plus, ils diffèrent d'un ministère du Travail en ceci, qu'au lieu de se consacrer à la politique sociale, ils doivent se préoccuper d'abord des intérêts de la production. 27 Les syndicats soviétiques sont donc non seulement une institution d'Etat, mais encore une institution foncièrement impuissante. Il en va de même de leur organe installé à l'intérieur de l'entreprise, le·« comité de fabrique et d'usine». Au lieu de représenter devant la direction les intérêts du personnel, il est fondé sur la fiction de la communauté des intérêts. Parmi ses fonctions prédomine celle de seconder la direction dans l'exécution des programmes. 28 Il se trouve de ce fait placé sous le commandement du chef d'entreprise, lequel va parfois j-usqu'à en désigner les membres. 29 Les conventions collectives que le « comité de fabrique et d'usine » conclut tous les ans avec l'administration de l'entreprise ne sont, au fond, qu'une forme factice des directives gouvernementales.La fixation des salaires et des conditions de travail en est exclue. En revanche, elles contiennent des clauses rendant le salarié responsable des· résultats de son travail et qui lui 25. Le décret ordonnant cette fusion est reproduit dans la brochure de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire, La Condition ouvrière en URSS, Paris, _1951, pp. 77-78. 26. Cf.' 1. L. Kissélev : « De la situation juridique des organisations syndicales en URSS», dans Sovietskoé gossoudarstvo i pravo, 1956, n° 4. 27. Dans la résolution adoptée en décembre 1957 par le Comité central du parti communiste, ce principe est réaffirmé avec vigueur : « La tâche centrale des syndicats consiste à mobiliser les masses aux fins de la lutte pour un nouvel essor puissant de toutes les branches de l'économie nationale, pour l'affermissement continu de la puissance économique de l'État soviétique et de sa capacité de défense, pour l'exécution et le dépassement des plans économiques, pour le progrès techpique, pour l'accroissement incessant de la productivité du travail, pour un strict esprit d'économie dans tous les chaînons de l'économie nationale, pour l'utilisation m~e toutes les réserves et de toutes les possibilités d'expansion rapide de la production industrielle et agricole, ainsi que pour un nouveau relèvement du niveau matériel et de la culture des travailleurs» (Troud, 19 décembre 1957). 28. A. Arakelian : Industrial Management in the USSR, trad. anglais~, Public Affairs Press, Washington, 1950, p. 161. 29. Cf. par exemple Troud, 13 novembre et 29 décembre 1955. • .,, •
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