P.BARTON tion où personne ne s'y reconnaît plus, tant les textes législatifs sont nombreux, embrouillés et contradictoires. Détail caractéristique, un très volumineux recueil législatif du travail, publié récemment, contient une note introductive qui précise : « Le Recueil ne prétend pas offrir une collection exhaustive des textes législatifs sur le travail, il n'englobe que les plus importants ». 15 Il est d'ailleurs très rare qu'on puisse se fonder sur une seule prescription pour trancher un problème pratique conformément à la loi. Par exemple, le Règlement intérieur type prévoit, parmi les sanctions disciplinaires, le transfert du salarié à un travail moins payé pour une période allant jusqu'à trois mois. 16 Aussi les directeurs punissentils des chauffeurs en leur faisant charger et décharger des camions, ou des employés et ouvriers qualifiés en les affectant à de gros ouvrages. Mais en procédant de cette façon, en stricte conformité avec le Règlement intérieur type, ils n'enfreignent pas moins la loi : en vertu de l'art. 36 du Code du travail - auquel le règlement en question ne fait aucune allusion - « l'employeur ne peut exiger du salarié un travail sans connexion avec le genre d'activité pour lequel le salarié a été embauché » 17 • Pour infliger correctement la sanction stipulée au Règlement intérieur type, le chef d'entreprise devrait donc assigner à l'ouvrier ou employé fautif un autre travail de sa profession mais dans une classe tarifaire inférieure. 18 11 n'est guère étonnant, dans ces conditions, de rencontrer chez ceux qui exercent l'autorité une attitude assez singulière, faite principalement d'arbitraire, d'abus de pouvoir et de désinvolture. Leurs décisions tiennent très peu compte des dispositions réglementaires applicables. Ils en ignorent parfois jusqu'à l'existence ou, à tout le moins, n'en connaissent qu'approximativement la teneur ; d'autres fois, ils passent outre aux règles dont l'observation leur causerait quelque difficulté. Reprenons l'exemple du chef d'entreprise ou d'atelier qui veut punir un salarié en lui assignant un travail moins payé. S'il se laisse guider par le Règlement intérieur type, il violera le Code du travail. S'il prend celui-ci également en considération, la recherche du travail qui convienne lui demandera un effort plus grand, sans qu'il ait pour autant la certitude de ne pas enfreindre un troisième texte qui est peut-être, lui aussi, applicable en l'occurrence. Il est dès lors tout à fait naturel que bien des dirigeants, 15. • Recueil des textes législatifs sur le travail », préparé par I. M. Sakharov, N. N. Boderskov et V. I. Merkoulov tous la direction de D. S. Karev, Gosiourizdat, Moscou 1956, p. 2. 16. Jln'd., p. 130. 17. • Code des lois relatives au travail, avec ses modifications jusqu'au 1er mai 1936 », trad. française dans la Strie 1,gi,lative du B.I.T., 1936 (Russ. 1). 18. M. Iakovlev : " Surveillance par le ministère public de l'observation de la législation du travail )1, dans Sotsialistitche1ki troud, 1958, n° I. Biblioteca Gino Bianco 351 au lieu de se soucier de finesses juridiques, s'en tiennent si l'on peut dire à l'essentiel. On a signalé le cas d'un contremaître châtié par son directeur pour faute professionnelle : il recevait pendant trois mois un traitement fortement réduit (500 roubles), tout en continuant d'exercer la même fonction. 19 Il faut rappeler aussi, dans cet ordre d'idées, la tenue des livrets de travail. Cette question mériterait à elle seule toute une étude. Bornons-nous à mentionner qu'abstraction faite des nombreux arrêtés ministériels applicables à telle ou telle branche d'industrie, la tenue de ces livrets est régie par au moins six décrets différents du Conseil des ministres, du Conseil économique et du Conseil central des syndicats. 20 Il en résulte que de nombreux chefs du personnel n'y font aucune attention et procèdent comme bon leur semble : souvent les diverses inscriptions ne sont accompagnées d'aucune signature ni cachet ; on barre et corrige sans forme régulière des 1nentions déjà portées sur le livret ; les raisons de changements d'emploi ne sont pas précisées ; la période du service militaire n'est pas indiquée, etc. Et c'est d'après les données figurant dans le livret qu'on détermine la durée du « stage de travail» dont dépend l'étendue des droits du titulaire aux prestations sociales. 21 Dans leurs rapports avec les salariés, les dirigeants des entreprises soviétiques sont nantis, on le sait, d'attributions extraordinairement vastes. Le régime de la fabrique est dominé par l'esprit de hiérarchie et par le principe du chef. Les ouvriers n'ont en aucune circonstance le droit de refuser d'obéir à une consigne, fût-elle manifestement contraire à la loi ou aux règlements en vigueur. Le directeur décide de tous les processus de production ; non seulement des problèmes techniques, économiques et financiers, mais encore sociaux, culturels ou simplement humains. En outre, il a sur son personnel un pouvoir exorbitant du fait que tous les services sociaux : médecine, assurances sociales, villégiature, loisirs organisés, œuvres culturelles, logement, ravitaillement, etc., dépendent de l'entreprise. Malgré l'ampleur des prérogatives dont ils jouissent ainsi - ou, peut-être à cause de cette ampleur anormale - les responsables des usines ne s'embarrassent dans leur absolutisme d'aucune règle de droit. Ainsi le ministère public de la région de Perm, en examinant les ordres prodigués par les dirigeants des entreprises de cette région en neuf mois de 1957, en releva 973 contraires à la loi. Rien qu'au cours d'un semestre de la même année, les dirigeants des charbonnages de Kizel affichèrent, d'après les constatations du procureur, I 38 ordres illégaux, notamment 19. Ibid. 20. Sbornik zakonodatelnykh aktov o troudé, pp. 20-23. 2 I. E. Koutaitsev : « Le livret de travail, une pi~ce importante ,,, dans Sovittskrë profsofouz , 1958 n° 3.
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