Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

DAYA série de définitions pratiques devra être formulée afin de donner un contenu concret au concept dont nous serons partis. Il faudra également préciser que l'enquête ne porte que sur les libertés politiques. Il peut exister des libertés d'un autre ordre, plus importantes encore, mais dont nous n'avons pas à nous occuper ici. Les discussions théoriques sur la nature de la « liberté réelle », comme celles sur le « bien-être réel », la « réalité réelle », l' « intelligence réelle », peuvent être abandonnées à la critique philosophique. La science politique devra se contenter d'une première série de définitions pratiques qui pourront ensuite être révisées à mesure que se feront jour de nouvelles données. Une telle définition pratique pourrait être axée sur la réalité de l'opposition légale contre le gouvernement au pouvoir. Cette définition laisse entendre que la condition minimum pour qu'il y ait liberté politique est la possibilité d'une opposition légale dans une société donnée. La question de la liberté politique ne peut se poser si la légitimité de cette possibilité n'est pas admise à la fois par le gouvernement et par la population. Si toute opposition est réputée trahison, et si, pour changer de gouvernement, il n'est d'autre recours que la conspiration ou la révolution, on ne saurait même parler de liberté politique. Même s'il existe une opposition vigoureuse dans une société de ce genre, il n'y aurait là aucun indice de liberté politique, aussi longtemps que l'opposition n'est pas légalement reconnue en tant que telle. L'exécution de millions d'individus dans les pays totalitaires est un signe d'opposition mais non de liberté politique. Certes, même sous un pouvoir absolu, l'accroissement ou la réduction du nombre de personnes arrêtées ou exécutées pour des motifs politiques peut être considéré comme un indice de l'accroissement ou de la réduction des libertés politiques dont jouit de facto la population. Mais dans le cas d'une décroissance du nombre des victimes, il conviendrait plutôt de considérer que la population se résigne, qu'elle accepte mieux la situation qui lui es1:faite. Le signe qu'il existe des libertés politiques est l'acceptation de fait par le pouvoir de l'existence d'une opposition, même si cette acceptation n'est pas formulée légalement. On devra donc tenir compte non pas simplement de la possibilité d'une opposition légale, mais aussi de son existence réelle. Les formes légales, en elles-mêmes, peuvent être trompeuses et nous ne pouvons pas reconnaître l'existence de libertés politiques dans une société où l'opposition ne Jouit pas de droits concrets. * ,,.,,. LA TACHE suivante sera de définir ces droits concrets, c'est-à-dire les diverses formes sous lesquelles l'opposition est libre de se manifester. Il est évident qu'aucune société ne peut permettre à l'opposition de prendre toutes les formes posBiblioteca Gino Bianco 301 sibles. 11 n'est guère concevable pour tout État d'admettre la violence insurrectionnelle et la révolution, ce qui montre de nouveau la complexité des rapports entre pouvoir et liberté. Ainsi, toute société fondée à se réclamer de la liberté se doit de tracer la ligne de démarcation entre les formes acceptables d'opposition à l'État et celles qui ne le sont pas. Une telle distinction ne peut être établie que s'il existe des moyens légitimes et légaux de retirer le pouvoir à ceux qui le détiennent. Lorsque de tels moyens existent, c'est généralement le recours à la violence qui constitue la limite entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Lorsque ces moyens font défaut, il n'est même pas question de tracer une ligne de démarcation. Les formes concrètes sous lesquelles s'exprime l'opposition dans une société où il existe des moyens légitimes et légaux pour retirer le pouvoir à ses détenteurs consistent essentiellement dans la formation d'organisations et dans la diffusion de vues opposées à celles des détenteurs du pouvoir. Si les tribunaux sont indépendants, si les élections sont régulières, il n'existera alors d'autre moyen légitime pour les groupes de l'opposition d'accéder au pouvoir. Ces divers éléments peuvent donc constituer autant d'indices du degré de liberté politique dont jouit un pays. L'existence de partis d'opposition fonctionnant librement, le mode d'organisation des élections, l'attitude des tribunaux peuvent permettre, si l'on tient compte en particulier de l'opinion de l'opposition sur ces questions, de consulter le baromètre politique d'un pays. L'appréciation de l'importance respective des différents facteurs posera inévitablement un problème. Les critères négatifs seront plus faciles à découvrir que les indices positifs. Le nombre des personnes exécutées pour des motifs politiques, par exemple, pèsera lourdement dans la balance. Viendront ensuite, évidemment, le nombre global d'arrestations, puis le nombre des détenus politiques. L'interdiction des attroupements, des manifestations sur la voie publique, des réunions, la proclamation d'un couvre-feu ou de l'état de siège doivent être considérées comme indiquant un recul rapide des libertés politiques. L'emploi de gaz lacrymogènes, de matraques, d'armes à feu et celui des bombardements aériens sont d'autres indices dont le poids augmente considérablement à chaque stade successif. L'année de référence retenue variera selon les pays. Pour les nations démocratiques, nous pourrons prendre les années de paix et déterminer une sorte de moyenne en ce qui concerne les libertés en vigueur, moyenne qui servira de base pour les comparaisons ultérieures. Pour les pays totalitaires, où le postulat fondamental des libertés politiques ne s'applique pas, nous pourrions établir une sorte d'éch 11 négative, par nalogie avec les nombres négatifs. Nous p urrion. établir une moyenne des exécutions, ar estati ns détentions et déportations politiques pour un certain nombre d'années relativement pacifiques et la

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