300 n'ont pas pris nettement conscience des valeurs immanentes à leur sujet d'étude. 11 sera peut-être difficile de faire l'unanimité sur les valeurs dont traite la science politiqu~. Mais on peut affirmer, sans craindre de trop s'écarter de la vérité, qu'elles gravitent autour de concepts tels que ceux de pouvoir et de liberté. La valeur du pouvoir - considéré en particulier sous sa forme militaire coercitive - semble être le critère décisif dès qu'il s'agit de comparer un système politique à un autre. 11en va de même dans le cas d'une rébellion intérieure. Mais en temps de paix et à l'intérieur d'une collectivité donnée, c'est le problème de la liberté politique qui en général a été considéré comme central. Or, la dimension liberté-despotisme ne se confond pas avec la dimension pouvoir-faiblesse; toutes deux peuvent varier et ont varié indépendamment l'une de l'autre. Il n'existe aucune corrélation nécessaire, directe ou inverse, entre ces deux séries et les opinions apparemment contradictoires fondant la puissance de l'État, l'une sur le despotisme, l'autre sur la liberté, ne correspondent à la réalité ni l'une ni l'autre. Le problème du pouvoir est en fait étroitement lié à la nécessité de survivre, du moins dans un monde qui est et a toujours été divisé en une pluralité d'États. Mais si, de toute évidence, la puissance assure la sécurité de l'État face aux autres États, la liberté est le fondement de la sécurité de l'individu face à l'État lui-même. Certes, la sécurité de la collectivité peut être la condition de la sécurité de l'individu, mais alors, si celle-là peut primer celle-ci, c'est en tant qu'instrument et non comme valeur. En temps de guerre ou de catastrophes nationales, comme chacun _sait, la zone des libertés tend à rétrécir. Inversement, lorsque la paix règne, la zone des libertés politiques tend toujours à s'élargir de facto, et cela même dans les pays totalitaires. Cette simple constatation devrait suffire à démontrer que nous touchons là au fond du problème des relations entre pouvoir et liberté. Quoi QU'IL en soit, nous proposons de considérer la liberté comme la valeur qui a sa source dans le domaine politique proprement dit et lui appartient ainsi en propre. Nous avons déjà fait observer qu'il n'y a pas incompatibilité en soi entre les libertés politiques et le pouvoir, tout en soulignant qu'il n'y a pas non plus entre eux de lien nécessaire. Dès lors se pose le problème de la comparaison - qu'il s'agisse des différences d'une époque à l'autre pour un même système ou des différences d'un système à l'autre pour une même époque - comparaison fondée sur cette valeur centrale de la science politique qu'est la liberté. La question de savoir si les libertés politiques sont souhaitables ou non est indépendante de l'évaluation objective de leur progression ou de leur régression à· l'intérieur de tel système politique déterminé. Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES Une telle évaluation ne sera possible qu'en établissant une sorte d'échelle permettant d'effectuer des mesures comparées. De même, il conviendrait d'établir, à l'intention de ceux qui s'intéressent plus particulièrement à la dimension pouvoirfaiblesse, une échelle de la puissance, à utiliser pour les comparaisons dans le temps et dans l'espace. . A vrai dire, il serait nécessaire d'établir· les deux échelles en même temps, encore qu'ici il ne sera question que de l'échelle de la liberté. Et cela, non seulement parce que nous sommes convaincus que la liberté importe davantage pour la science politique, mais parce que dans le monde moderne la puissance, nécessairement, n'est l'apanage que de quelques États et reste inaccessible à la plupart des pays. En revanche, la plupart des États peuvent, ou du moins pourraient, garantir la liberté politique. Enfin, valeur largement et ouvertement reconnue dans le monde démocratique, la liberté est considérée comme la marque distinctive essentielle qui sépare celuici du monde communiste. Ainsi il importe que les États qui se réclament de la liberté soient en mesure de déterminer si son domaine s'étend ou se resserre à l'intérieur de leurs propres frontières. Des considérations d'ordre théorique aussi bien que pratique permettent donc de conclure à la nécessité d'une échelle de la liberté que l'on pourrait décrire, par analogie avec l'économie, comme un ensemble de coefficients politiques. On constatera que pour nombre de questions concernant le rapport entre les libertés démocratiques et telles autres composantes de la vie sociale - par exemple les facteurs économiques - seule l'élaboration d'une telle échelle permettrait de dépasser le stade des conjectures. Le problème est critique pour un grand nombre de pays insuffisamment développés qui se sont engagés à la fois sur la voie du développement économique et sur celle de la démocratie. Le problème parallèle pour les pays occidentaux à économie. évoluée était de maintenir la demande solvable ' par le plein emploi et d'éviter ainsi de graves fluctuations cycliques de l'économie sans compromettre les libertés démocratiques. La réponse classique à cette question était celle de Keynes. Aujourd'hui, il faut un autre Keynes pour sortir du prétendu dilemme de la planification économique et des libertés politiques. Toutefois, ce n'est pas parce qu'un besoin existe qu'il sera obligatoirement satisfait. De graves difficultés théoriques et pratiques peuvent s'opposer à toute réalisation de ce genre. Mais si l'on ne s'efforce pas d'établir l'échelle nécessaire, la nature exacte des difficultés rencontrées restera mal connue. C'est donc seulement en tentant de l'établir que nous pourrons prendre conscience de la nature particulière de ces difficultés et ainsi nous efforcer de les surm Jnter. Le premier problème consistera à déterminer la nature de la liberté politique elle-même. Une
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