Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

GŒTHB marmitons venaient d'ouvrir le chariot qui renfermait les provisions et les ustensiles de la cuisine du duc et de sa suite. Tout à coup on entendit dire de tous côtés que le camp n'aurait pas lieu, parce qu'on venait d'apprendre {·que l'armée française avait quitté les hauteurs de SainteMenehould, pour se retirer sur Châlons, et que le roi de Prusse, ne voulant pas la laisser échapper, avait donné ordre de la poursuivre à outrance. Ne sachant que croire, j'ai été prendre des renseignements à la bonne source ; là j'ai appris que cette nouvelle avait été apportée par des hussards d'avant-postes, et que le duc de Weimar, accompagné du général Heymann et suivi par les hussards porteurs de cette invraisemblable nouvelle, était allé faire une reconnaissance. Au bout de quelques heures ils revinrent, bien convaincus que l'ennemi n'avait fait aucun mouvement; et les hussards ont été forcés de convenir qu'ils avaient présumé, plutôt que vu et entendu, ce qu'ils étaient venus rapporter. L'alarme, cependant, s'était répandue partout, aussi avons-nous presque aussitôt reçu l'ordre d'avancer, et de faire rétrograder les bagages jusqu'à Maison-Champagne, pour y former une barricadede chariots, en attendant le résultat de la bataille, que l'on croyait • • 1mm1nente. J'abandonnai aussitôt à mon domestique, que je connaissais aussi prudent que soigneux, ma voiture et mes bagages., et je m'élançai sur un cheval de selle pour me joindre à mes compagnons. Depuis longtemps déjà, nous avions décidé que nous nous tiendrions toujours aussi près que possible des troupes régulières, parce que là, tout ce qui peut arriver est honorable, tandis qu'auprès des bagages et de l'arrière-train, le péril est presque aussi grand, et le séjour toujours honteux pour celui que son devoir n'y enchaîne pas. Pour ma part, je suivais partout les officiers du régiment de Weimar, et, surtout, ceux de l'escadron des gardes du corps du duc. La route que nous devions suivre nous était tracée par le cours d'une petite rivière nommée Tourbe, et qui traverse la vallée la plus triste et la plus aride qu'il soit possible de voir ; nous avions en outre l'ordre de marcher dans le plus profond silence, comme s'il s'était agi de surprendre l'ennemi. Cet ennemi, cependant, ne pouvait manquer de voir, du haut de ses montagnes, les mouvements d'une armée de plus de cinquante mille hommes s'avançant dans les vallons. La nuit n'a pas tardé à nous surprendre. Point de lune, point d'étoiles, un vent froid et violent; ses hurlements accompagnaient notre marche silencieuse qui, au milieu de ce bruit sinistre et d'une obscuritéprofonde,avaitquelque chose de très-saisissant. Tandis que nos officiersmontaientet descendaient le long de la colonne, tantôt pour la faire avancerplus vite, tantôt pour l'arr!tcr, une douBiblioteca Gino Bianco 295 zaine de cavaliers, sans caractère officiel, mais que j'avais déjà vus, étaient venus se joindre à moi. On s'interrogeait .sur ce qui allait se passer ; on se plaignait et l'on ne pouvait pardonner à nos chefs de nous avoir privés du dîner, dont on avait commencé les préparatifs à Massige. Le plus joyeux de ces messieurs exprimait le désir de posséder au moins un morceau de pain et une saucisse, un autre, moins modeste, éleva ses désirs jusqu'à un filet de chevreuil et une salade d'anchois ; et comme, à ces conditions, les mets les plus recherchés ne coûtaient rien, on finit par composer un repas splendide arrosé de vins exquis. Cette plaisanterie avait tellement surexcité les appétits, que tout le monde s'est mis à maudire le festin imaginaire, placé si mal à propos en face de l'absence réelle de toute espèce de nourriture. En arrivant à Somme-Tourbe, nous avons trouvé le roi de Prusse installé dans une auberge, à la porte de laquelle le duc de Brunswick avait établi son quartier général et sa chancellerie. Plusieurs feux étaient allumés sur la place où se trouvait cette auberge, et on les entretenait soigneusement avec des sarments de vigne; mais le duc feld-maréchal a aussitôt donné l'ordre de modifier ces flammes qui pouvaient, disait-il, faire deviner notre position à l'ennemi. Nous n'avons pu nous empêcher de blâmer intérieurement cette précaution, car pas un de nous n'osait se flatter que notre marche fût restée ignorée des Français. La nuit du 19 et la journée du 20 septembre. J'ÉTAIS ARRIVÉ trop tard; aussi avais-je beau chercher dans les maisons voisines, il n'y avait plus rien. Pendant que je faisais ma ronde inutile, les émigrés m'ont fourni l'occasion d'apprécier une excellente ressource culinaire. Accroupis autour d'un grand feu, ces messieurs en avaient retiré de la cendre rouge dans laquelle ils plaçaient des œufs, dont ils avaient eu la sage précaution de se procurer une grande quantité dès leur arrivée dans le village. Rien n'était plus appétissant que de voir tous ces œufs debout dans la cendre, et que les nobles cuisiniers avaient soin de retirer au moment où ils étaient assez cuits pour être avalés d'un trait. Malheureusement ils m'étaient tous inconnus, ce qui m'a empêché de leur demander une part de ce festin. En ce moment un de mes amis qui, ainsi que moi, mourait de faim et de soif, m'a rejoint pour me conter ses peines. Ses lamentations m'ont suggéré une ruse de guerre puisée dans les expériences iue, dans cette courte campagne, j'avais déjà eu 1 occasion de faire. J'avais observé qu'en allant à la maraude, on se conduit maladroitement. Les premiers arrivés prennent plus qu'ils ne peuvent consommer ; leurs successeurs se jettent sur leurs traces et ne trouvent plus rien ou presque rien. J'ai conclu de là qu'au lieu de swvre ses devanciers, il faut chercher sur un point opposé à celui qu'ils ont exploité. •

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