Le Contrat Social - anno II - n. 5 - settembre 1958

294 Notre régiment qui avait été envoyé à la découverte revint. avec un butin considérable. Après avoir partagé l'argent et les effets, on me remit, en ma qualité de membre de la chancellerie, les papiers enlevés à l'ennemi. Parmi ces papiers je trouvai plusieurs ordres du jour de La Fayette très-proprement écrits, et un des derniers numéros du Moniteur, contenant, dans un article fort laconique, cette phrase significative : « Les Prussiens pourront venir à Paris, mais ils n'en sortiront point. » On supposait donc la possibilité que nous pouvions aller jusqu'à Paris ? quant à en sortir, cela ne nous inquiétait nullement. A notre grande satisfaction, l'armée ne tarda pas à se mettre en mouvement, et les avant-gardes passèrent les unes après les autres. Notre tour vint enfin ; après avoir traversé des monts et des vallées couverts de vignes dont on savourait les fruits avec délices, nous aperçûmes le château de Grandpré, situé sur une hauteur, au pied de laquelle l'Aire se glisse entre un enchaînement de collines pour aller se jeter dans l'Aisne. Pendant cette marche, le hasard me jeta au milieu de la suite du roi de Prusse et de celle du duc de Brunswick, où je trouvai le prince de Reuss, et plusieurs autres diplomates militaires de ma connaissance. Ces groupes de cavaliers décoraient si richement le paysage que je ne pouvais m'empêcher de souhaiter qu'un Van der Meulen A • , • put se trouver parmt nous, et eterruser notre passage par la magie de son pinceau. Il est vrai que quelques villages brûlaient çà et là, mais la fumée et les flammes ne sont pas d'un mauvais effet dans un tableau de guerre. Les habitants de ces villages, disait-on, s'étaient permis de tirer par leurs fenêtres sur les avantgardes, qui, usant du droit de représaille que la guerre autorise, avaient mis le feu aux maisons. On déplorait ces calamités, mais le mal était fait, et nos chefs crurent le réparer en prenant les vignes sous leur protection ; ce qui n'empêcha pas nos soldats de les visiter si souvent, qu'après notre passage, on pouvait regarder les vendanges . , comme term1nees. Nous conduisant tantôt en amis et tantôt en ennemis, nous dépassâmes Grandpré et traversâmes l'Aisne pour nous arrêter près de Vaux-lesMourons, située dans la partie de la Champagne, désignée par une épithète peu engageante ; dans les maisons abandonnées à notre approche, on ne sentait cependant aucune trace de la vermine dont parle cette épithète. Cette contrée, au reste, ne nous parut pas trop mal. Des vignes bien cultivées bordaient le côté méridional de la rivière, de riches récoltes étaient entassées dans les granges ; malheureusement les gerbes n'étaient pas encore battues et l~s moulins manquaient entièrement, aussi notre position commençait-elle à ressembler à celle de Tentale. Biblioteca Gino Bianco PAGES RETROUVÉES Le I 8 septembre. A CHACUNE de nos haltes, et surtout à celle du dîner, on profitait du moment où l,on prenait le café pour se réunir, tantôt sous une tente, tantôt sous une autre. Ces ré11nions se composaient d'émigrés français, de diplomates et d'officiers allemands, tous hommes d'un grand mérite, mais exclus du conseil intime des souverains, et, par conséquent, toujours occupés à deviner les décisions de ce conseil. C'est ainsi qu'on croyait savoir que Dumouriez., ayant été obligé d'abandonner sa position de Grandpré., s'en était créé une plus avantageuse encore sur les hauteurs de Sainte-Menehould. Quant aux alliés, ils avaient passé un étroit défilé et laissé derrière eux, sans les prendre, les forteresses de Sedan, de Montmédy et de Stenay, ce qui, selon notre conciliabule, était une imprudence que nous pourrions payer fort cher en cas de retraite, cas que le mauvais temps, la pauvreté et les dispositions hostiles des habitants du pays, rendaient fort probable ; surtout si l'on continuait à hésiter comme on l'avait fait jusqu'ici, au lieu de s'avancer à marches forcées vers Châlons et Reims. Par là, disait-on, notre armée se trouverait dans un pays assez riche pour satisfaire à tous nos besoins, et Dumouriez serait obligé de quitter sa position avantageuse, et de nous offrir en plaine, -une bataille que nous ne pouvions manquer de gagner. Le 19 septembre. L'ordre de marcher sur Massige., en laissant . l'Aisne et ses montagnes boisées à notre gauche, nous a été donné dès le point du jour. Pendant ce trajet, un singulier phénomène d,optique est venu . , . . me reJowr. Afin de pouvoir faire avancer plusieurs colonnes à la fois, on avait dirigé celle dont je faisais partie à travers un enchaînement de collines. La pente d'une de ces collines était tellement rapide que, même après l'avoir adoucie à coups de pioches, la colonne n'a pu la descendre qu,en se rompant. Je m'étais arrêté sur le sommet ; un rayon de soleil perça tout à coup les sombres nuages dont le ciel était chargé depuis notre entrée en France, et fit briller les baïonnettes et les fusils de nos soldats, au point que cet amas d'armes avait l'air d'un fleuve étincelant ; et quand chaque homme s'est mis à descendre séparément et en sautant par-dessus des amas de pierres ou de terre, on eût dit qu'une immense cascade se précipitait dans la vallée. Et lorsqu'au pied de la colline, la colonne s'est ré11nie et a repris sa marche régu-- lière, c'était, à mes yeux, le fleuve qui rentrait dans son lit. A une heure après midi, nous sommes arrivés à Massige. Quoique sous les yeux de l'ennemi, car deux \ieues à peine nous séparaient de lui, on avait déjà pris les dimensions du camp. Les pieux étaient enfoncés, un grand feu brillait au milieu de la place qui devait recevoir les tentes; et les

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