Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

248 accuser Djilas de soutenir le stalinisme I Mais l'argument principal est assez faible : la bureaucratie ne pourrait être le « propriétaire collectif» (selon la formule de Djilas) de l'appareil de production dans les pays dits communistes parce que la condition juridique de ses membres n'est pas celle du propriétaire privé. Cela revient à dire que l'on ne connaît pas d'autres « classes » que celles qui se dégagent des analyses de Marx, valables pour un régime de capitalisme privé. Mais il paraît difficile de soutenir à la fois que « toute l'histoire est l'histoire de la lutte des classes » et qu'il ne peut y avoir de classes qu'au sein d'un régime de capitalisme privé. 11 semble donc que ce soit la formation marxiste de Djilas qui l'ait amené à soutenir la thèse de la « nouvelle classe ». Selon la conception marxiste traditionnelle, dans un système de capitalisme privé, la bureaucratie de l'État ne saurait constituer une « classe », parce qu'elle est, par définition, étrangère à l'appareil de production. Si l'on considère un régime de capitalisme d'État, l'objection paraît tomber. Marx avait déjà observé, dans l'économie capitaliste de son temps, la tendance à la dissociation entre le << titre » et la « fonction » du propriétaire. L'argument juridique de M. Bleibtreu revient encore à dire que ce qui compte c'est le « titre » et non pas la « fonction », ce qui constitue une assez curieuse façon de soutenir le marxisme. Si étrange que cela puisse paraître, on ne parvient guère à s'entendre sur ce que peuvent être les critères d'application du concept marxiste de « classe ». Seule la notion vulgaire qui se fonde assez grossièrement sur le niveau des revenus plutôt que sur leur origine paraît claire. On n'est jamais parvenu à persuader personne qu'un général d'armée et un manœuvre-balai appartenaient à la même classe de la société, même si l'on a réussi à démontrer qu'ils étaient tous deux des salariés. - « L'abolition du salariat », par Pierre Naville. M. Pierre Naville rappelle à juste titre que l'abolition du salariat a été considérée traditionnellement comme un objectif fondamental du socialisme. C'est ce qui lui permet de montrer que dans un régime de capitalisme d'État, aussi bien que dans un régime de capitalisme privé, on ne saurait dire que le socialisme est réalisé. Il paraît cependant difficile d'admettre avec l'auteur · que l'abolition du salariat soit la « définition » du socialisme puisqu'il s'agit d'une notion purement négative. Nul ne soutiendra que la restauration de l'esclavage ou celle du servage serait la réalisation du socialisme. La partie complémentaire de la définition était représentée traditionnellement par la socialisation des moyens de production et d'échange. La vérité est que depuis l'apparition d'un régime comme celui de l'URSS on ne sait plus· guère ce que c'est que le socialisme, notion que ceux qui ne sont pas staliniens, mais qui veulent continuer à se dire << socialistes », tentent, avec plus ou moins de bonheur, de redéfinir en conciliant leurs aspirations avec les réalités. Les Temps modernes N° 145, mars 1958 : << La tragédie du communisme polonais entre les deux guerres», par Isaac Deutscher. ON SAIT qu'en 1938 les dirigeants du parti communiste polonais réfugiés en URSS ont été massacrés sur l'ordre de Staline. M. Deutscher, qui reconnaît avoir quitté en 1932 le parti communiste polonais et n'a d'ailleurs jamais joué le moindre rôle dans sa direction, n'apporte aucune lumière spéciale sur les dessous d'un drame qu'il se conte11te d'expliquer par les « impulsions irrationnelles » du dictateur, dont il a lourdement fait l'éloge naguère. Plus significatives sont ,BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL ses considérations personnelles sur la nécessité pour la « révolution polonaise » de ne pas se séparer /de la révolution russe. En fait de « révolution polonaise », les Polonais lui diraient sans doute qu'ils ne connaissent rien d'autre à sa source que l'intervention de l'armée russe en 1945 et que pour le reste il y a un fait géographique qui condamne effectivement les velléités « indépendantistes », mais pour des raisons non politiques. - N° 146, avril 1958 : « Ivan Ivanovitch a-t-il existé?», par Nazim Hikmet. (Pièce en 3 actes, 9 tableaux.) Le poète turc, réfugié en URSS depuis de nombreuses années, apporte sa contribution personnelle au « dégel », mais sans encourir le risque de susciter l'inondation. Cette pièce est une satire légère et subtile des mauvaises mœurs de la bureaucratie soviétique et notamment de son goût pour l'adulation (culte de la personnalité). Un certain Ivan Ivanovitch paraît être le mauvais génie du bureaucrate Pétrov auquel il veut beaucoup de mal : c'est lui qui entraîne Pétrov, sur la mauvaise voie. A la fin de la représentation il se découvre qu'I V@ Ivanovitch et Pétrov ne sont pas deux personnages distincts. Cette pièce, en dehors de sa valeur littéraire certaine, nous renseigne sur les limites de la satire permise par les hautes autorités. Comme l'observe judicieusement l'introducteur, qui se prévaut de sa qualité de membre du parti communiste français, pour stigmatiser les crimes du capitalisme il faut brandir le fouet de la satire, mais pour critiquer les fautes du régime soviétique, il faut le dire avec des fleurs. .. La Nouvelle Réforme N° 2, janvier-février 1958 : « Karl Marx et l' Amérique », par Earl Browder. L'ANCIENdirigeant du parti communiste américain, exclu en 1946 et depuis lors livré à la méditation, relève un curieux flottement dans les appréciations de Marx sur la nature et l'évolution du capitalisme aux ÉtatsUnis. Au chapitre 33 du Capital, Marx, comparant les conditions offertes au développement du capitalisme dans l'ancien et dans le nouveau monde, estime que « les États-Unis ne sont encore, économiquement parlant, qu'une dépendance de l'Europe », ce qui ne l'empêche pas dans d'autres textes d'annoncer, avec , beaucoup de lucidité, la prochaine suprématie économique mondiale américaine. Selon M. Browder, il y aurait là l'indice d'une contradiction entre les conceptions théoriques inspirées à Marx par son analyse de · l'exemple anglais et la constatation à laquelle l'amenait son respect pour les faits. La reconnaissance de cette contradiction pourrait constituer le fondement d'une saine révision du marxisme conduite par la méthode marxiste elle-même. La conception théorique inspirée par l'exemple de l'Angleterre conduisait Marx à penser que le développement normal du capitalisme est incompatible avec le système « colonial » de la terre libre qui contraint les entrepreneurs à payer un prix élevé pour obtenir de la main-d'œuvre. Pour que le capitalisme «colonial• puisse rattraper et dépasser celui de l'Europe, il aurait donc fallu attendre la disparition de la petite production agricole indépendante, entraînant la formation dans les villes d'un surplus de population flottante constituant « l'armée de réserve industrielle», qui permet normalement à l'entrepreneur de se procurer de la main-d'œuvre à bon marché. Les faits reconnus par Marx et Engels montrent cependant que le capitalisme américain a pu se développer malgré l'obstacle constitué par la pénurie initiale de main-d'œuvre et par les salaires élevés, donc en prenant d'autres voies que celles qui -

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