QUELQUES LIVRES seraitla première sur la voie menant au socialisme. En vertu même de ces principes, il fut décidé que le paysan russe, en dépit de sa loyauté traditionnelle à l'égard du tsar, était un socialiste né. Il . suffisait d'éclairer quelque peu sa lanterne, et le vieil ordre s'écroulerait de lui-même. A sa place surgiraient toute une série de communes autonomes dont l'union harmonieuse était assurée par le sentiment spontané de la justice dont le peuple russe avait toujours fait preuve. Telle était la vision chère à l'intelligentsia russe jusqu'à la dissolution du populisme autour de 1890: 1~ est vrai que parfois une note plus réaliste se faisait entendre, quant aux moyens sinon quant à la fin. Tel un fil noir se faufile aussi, à travers toute l'histoire du mouvement révolutionnaire russe, une tradition jacobine de conspiration : on ne pouvait faire confiance à l'instinct libertaire du peuple, il fallait qu'un petit groupe de révolutio~aire~ décidés pas_s~t à l'action et prît le pouvorr. C est cette tradition, celle des Netchaïev et des Tkatchev, qui finit par triompher avec Lénine et les· bolchéviks. Pendant la plus grande partie du siècle, cependant, les révolutionnaires russes résolurent leurs problèl!1e~ poli?ques en supposant que le peuple russe etait rmraculeusement pourvu de toutes les vertus démocratiques. Même lorsque les populistes des années 70, ayant perdu confiance dans les masses, choisirent de lutter contre le gouvernement du tsar par le terrorisme, ils ne se demandèrent jamais comment ils pourraient réaliser leur rêve de socialisme démocratique. Après l'assassinat d'Alexandre II en 1881, quand la Russie tout entière attendait des terroristes un .geste décisif, il ne se passa rien. Les révolu247 . . , . tlo~air~s n av~ent l?as même pensé à ce qu'il fallait faire apres avoir tué le tsar. M. yarmolinsky ne tire pas lui-même les c~nclusion~ de son excellente enquête histo- ~ique,; m~is une id~e géné~ale s'impose, qui a ete degagee et exposee par d autres spécialistes. * La gauche russe a ouvert la voie à une révolution nettement différente des révolutions bourgeoises antérieures (anglaise, américaine ou française). Cette différence ne tient nullement au caractère prolétarien (ou socialiste) de la révolution russe. En Russie, nous l'avons vu, le mouvement révolutionnaire était au premier chef celui d'une élite intellectuelle, imbue d'idées étrangères (o~cidentales) et agissant _dans un pays retardataire, essentiellement agricole. La conséquence de la Révolution a été de précipiter la Russie dans l'âge industriel, par le moyen d'une dictature d'une extrême rigueur. Les bolchéviks ont ainsi_ ~arché dans les traces des tsars les plus ambitieux, tout en ayant l'habileté d'accorder au peupl~ au moins un semblant de participation au pouvoir. En outre, la révolution russe a fourni un modèle aux révolutions qui se produisent actuellement en Asie, en Afrique et dans le Proche-Orient, sous l'impulsion d'élites de formation occid_entale. Herzen, qui,. savait comment ~es commurustes conçoivent l'Etat, écrivit un Jour cette phrase prophétique : « Le communisme, c:est le_reve_rs de l'autocratie. »., La tragédie des revolut1onna1res russes du x1xe s1ecle, c'est d'avoir tant méprisé la démocratie politique que la boutade de Herzen s'est avérée dans les faits. JOSEPH FRANK Q!!elques revues Esprit N° 2, février 1958: « Le Blanc-Nègre», par Norman Mailer. UN JEUNE romancier américain évoque le curieux milieu social des hipsters (terme d'argot que l'on pourrait traduire sans doute littéralement par « déhanchés ») qu'il décrit comme le lieu où se rencontrent l'intellectuel bohème, le noir et le délinquant juvénile, le tout placé sous le signe de la marijuana et de la musique de jazz. 11 fait paraître à ce sujet des perspectives apocalyptiques et prophétise l'avènement d'un type humain nouveau. Mais on conçoit mal ce que pourrait être la généralisation de l'inadaptation sociale, à l'échelle de la société tout entière. Le phénomène qu'il décrit est sans doute un cas particulier de l'inadaptation juvénile contemporaine, remarquée en beaucoup d'endroits, mais il n'est pas entièrement inédit : au Moyen Age, en Europe, on pouvait déjà parler de la rencontre de l'étudiant dévoyé, du bohémien et du voleur, mais ce n'est pas ce qui a commandé l'évolution de la société. Les milieux d'inadaptés sont par définition toujours en marge, ou bien ils c ssent d'ftre ce qu'ils âaient. Ce qui vient compliquer assurément cette question est l'existence du problème noir aux États-Unis. On Biblioteca Gino Bianco notera que l'auteur soutient la cause de l'émancipation des noirs un peu à la manière dont la corde soutient le pendu. Il annonce que la déségrégation des écoles aura des conséquences catastrophiques dont il se réjouit d'avance. Les vieux sudistes se réjouissent sans doute aussi de l'entendre parler de la sorte. Mais si le noir cesse d'être le paria de la société américaine, pourquoi resterait-il un inadapté social ? Esprit, si chatouilleux d'ordinaire pour tout ce qui touche à l'émancipation des peuples de couleur, cautionne d'assez singulières doctrines. Le texte est publié sans la moindre remarque critique de son présentateur et traducteur. Tribune marxiste N° 2, février 1958 : « La nouvelle classe, selon M. Djilas », par Favre-Bleibtreu. L' ~~TEUR ~'élève a~ec véhémence contre la c nception de DJ1las qui co11trar1ela thèse de l' « État ouvri r dégénéré » soutenue par Trotski en un temps ù il e pérait encore reconquérir le pouvoir. M. Blcibtr u va ju qu à • Cf. la pr~fac de la nouv 11 ~diti n de r ne Brinton Anatomy of RlfJolution, New York, Vintag Book , 1957. '
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