Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

B. RABINOWITCH scientifique peut apparaître comme un havre d'indépendance intellectuelle. Dans quelle mesure une oppression générale de la pensée indépendante et un dressage de la jeunesse à l'obéissance découragent-ils la pensée scientifique véritablement créatrice (par opposition à une bonne technique scientifique) ? Les savants ayant des idées neuves et révolutionnaires sont rares sous tous les régimes et il est difficile d'appliquer la statistique à de tels phénomènes, qui échappent par définition à la loi des grands nombres. L'endoctrinement systématique pour obtenir la soumission des esprits au dogmatisme philosophique - trait fondamental de l'instruction dans toutes les écoles soviétiques - rend-il l'apparition d'un Darwin, d'un Einstein ou d'un Lobatchevski moins probable ? Malgré la croissance considérable et l'amélioration constante du niveau moyen des travaux scientifiques en Union soviétique, aucune grande idée nouvelle ne nous est encore parvenue de ce pays, du moins jusqu'à ce jour. Depuis 1904, date où Pavlov l'obtint, un· seul prix Nobel est allé à un savant russe, le prix de chimie décerné à N .N. Séménov pour son travail sur les réactions chimiques en chaîne, œuvre d'un grand mérite, mais nullement révolutionnaire. Pendant cette même période, plus de vingt prix Nobel ont été décernés à des savants américains. La plupart d'entre eux couronnaient des travaux du même ordre que ceux de Séménov ; il ne s'agissait de conceptions nouvelles et révolutionnaires que dans quelques cas peu nombreux. Le prix de physique de l'an dernier en est un exemple retentissant : les deux jeunes physiciens sino-américains Yang et Lee ont obtenu cette récompense en renversant le principe de la conservation de la parité. * Une idée aussi révolutionnaire pourrait-elle être conçue avec la même aisance par un savant soviétique qui, dès son enfance, a appris à ne pas contester les conceptions admises, ou bien le conformisme étouffant prédispose-t-il au contraire les meilleurs esprits au doute ? Quelquesuns des plus grands génies scientifiques, Copernic, Galilée, Kepler, ont conçu leurs idées hétérodoxes malgré les pressions qui les vouaient à l'obéissance. Quelques savants soviétiques compétents semblent avoir accepté les formules du matérialisme dialectique par conviction, et non seulement par • Dans la théorie des particules élémentaires, les physiciens ont d'abord admis que ces corpuscules ont des propri~és aussi simples que possible. En particulier, on admettait que chaque corpuscule est identique à son image dans un miroir plan. Cette hypothèse porte le nom de « principe de la conservation de la parité 1. Les jeunes théoriciens sinoaméricains Lee et Yang ont examiné la validité de ce principe et sugg&é les expériences dont les résultats pouvaient l'invalider. Ces expériences ont confirmé leurs prévisions théoriques. 11 s'ensuit que certains corpuscules ne sont pas superposables à leur image dans un miroir, de même que l'image d'une main droite et d'une main gauche, ou que celle de la coquille d'escargot qui s'enroule à gauche et d'une ~uille qui s'enroule à droite. N. d. T. Biblioteca Gino Bianco 221 obligation ou opportunité. Mais quelques savants occidentaux prof essent aussi la même doctrine. On ne risque rien à parier que de nombreux savants russes, jeunes ou vieux, considèrent la philosophie officielle comme un simple formulaire qu'il est bon de réciter à l'occasion pour se , proteger. Situation psychologique de la science Que, dans la vie soviétique universitaire, comme dans la vie civile en général, la méfiance générale envers une libre recherche paralyse aussi l'esprit inquisitif, ou que le contraire soit vrai, une chose est certaine : d'autres forces sont à l'œuvre en Union soviétique, contribuant puissamment au progrès scientifique. En premier lieu, l'enseignement secondaire initie la jeunesse aux principes et aux techniques des mathématiques et de la science. Le programme en lui-même, abstraction faite de la place réservée aux études « idéologiques » et du sacrifice des études classiques, n'est pas très différent de celui qui était pratiqué dans les « gymnases » de la Russie prérévolutionnaire (et d'ailleurs, aujourd'hui encore dans bien des pays). Naturellement, ce qui est radicalement différent par rapport à l'époque prérévolutionnaire, c'est l'énorme extension de l'enseignement secondaire et la possibilité offerte aux élèves les plus doués, dans toutes les classes de la société, de recevoir une formation de savant ou d'ingénieur. Deux autres facteurs favorisant le développement de la science caractérisent davantage encore la société soviétique. Le premier est le prestige qui entoure la science et qui trouve son expression aussi bien dans les privilèges matériels d't1ne carrière scientifique heureuse que dans la haute estime de l'opinion publique pour le savant. Le second est l'appui illimité que . le gouvernement accorde aux établissements supérieurs et aux instituts de recherche. Les faits qui confirment cet état de choses ont souvent été évoqués depuis le lancement du premier satellite : promotions annuelles, bien plus nombreuses, de diplômés des diverses disciplines aussi bien que d'ingénieurs ; traitements relativement élevés et nombreux avantages complémentaires, qui . placent les savants soviétiques au niveau des chefs de service dans les grandes entreprises privées d'Occident et les professeurs « académiciens » au niveau des dirigeants de celles-ci ; tranquillité d'esprit des savants soviétiques en ce qui concerne le renouvellement des crédits nécessaires pour la continuation de leurs travaux (« L'argent, il suffit de le demander>>), alors que trop souvent, en Occident, les recherches les plus importantes sont poursuivies avec des moyens financiers précaires. Un autre facteur mérite plus d'attention qu'il n'en a reçu jusqu'ici : c'est la glorification de la science comme voie vers le bonheur et la pros- •

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