220 considérablement accru. On se demande quelle influence cette force nouvelle va avoir sur la société soviétique ·et sur la future politique mondiale de l'URSS. . 11est difficile d'imaginer que l'Union soviétique puisse être à la fois un enfer pour l'ensemble des citoyens et un paradis pour les savants (ou tout au moins pour certains spécialistes). 11 est vrai que les savants occidentaux imaginaient ainsi la situation dans les années 1920 ; puis, comme une science après l'autre se voyait attaquée par Moscou, comme Lysenko piétinait la génétique, comme la mécanique quantique était écrasée sous les assauts répétés du matérialisme dialectique, les observateurs occidentaux avaient fini par penser que la science soviétique était sans avenir, que le conformisme idéologique la paralyserait certainement et que la liberté de la science ne pourrait jamais être assurée dans un pays qui, tout simplement, ne respectait pas la liberté de penser. Les encouragements accordés par la dictature totalitaire communiste semblaient sans commune mesure avec l'indépendance des idées et la liberté personnelle offertes par les sociétés libérales de l'Occident - même si ces dernières montraient beaucoup moins d'intérêt pour la science, et beaucoup plus de parcimonie pour son entretien. Cependant, la désillusion sur la science soviétique dans les années 1940 fut aussi exagérée que l'avait été l'exaltation dans les années 1920. Certes, un climat de liberté intellectuelle est important pour le développement de la science, mais une formation convenable, un soutien financier adéquat ne sont pas moins nécessaires. Si l'Union soviétique ne répondait guère à la première condition, elle pourvoyait amplement à la seconde. Examinant l'état de la science russe en 1952, pendant la période de la prépondérance de Lysenko, l'auteur de ces lignes écrivait : On voit la rouille se répandre dans certains domaines de la science, mais d'autres domaines qui leur sont intimement liés sont restés intacts. On a l'impression d'une ville prospère frappée par une épidémie. Ici et là, des -maisons sont fermées et mises en quarantaine. Personne ne sait de façon certaine comment se protéger du fléau. Un certain rituel pour pacifier la colère des dieux est adopté. Il comporte des louanges pour leur sagesse au début et à la fin de chaque commùnication imprimée ou orale. Et tous les pestiférés sont dénoncés comme des pécheurs qui ont provoqué leur propre châtiment... Cependant, tout comme dans les épidémies réelles - et tout comme pendant la guerre sous les bombes - ceux qui sont encore bien portants vont au travail comme d'habitude. La conclusion était la suivante : Il est faux de penser que la science soviétique contemporaine ait été profondément parç1lysée par la dictature idéologique de politiciens ignorants. Certaines branches peuvent être mortes ou atrophiées, mais l'arbre demeure vigoureux et continue de croître .. Des branches qui BibliotecaGinoBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE avaient été coupées renaissent, celles qu'on empêche de s'élancer dans leur direction naturelle contournent l'obstacle. 9 IL N'Y A PAS grand-chose à changer aujourd'hui à cette appréciation, sinon que la situation s'est considérablement améliorée depuis la disparition de Staline. Les domaines où s'exerce l'oppression idéologique diminuent et l'intensité de celle-ci décroît. Non que la science soviétique soit maintenant tout à fait libre, bien loin de là. 11 arrive que certaines pressions s'exercent encore pour limiter l'activité à des buts d'intérêt pratique immédiat ; aucun groupe de savants n'est complètement à l'abri de la critique lorsqu'il s'adonne à des travaux jugés sans utilité pour l'Etat. Lysenko compte toujours, en sa qualité de directeur de recherche et de directeur de revues « agrobiologiques » ; il possède encore de nombreux disciples dans les institutions de recherche agricole et des admirateurs parmi les fonctionnaires communistes. Quand Khrouchtchev proclamait récemment que l'industrie laitière russe dépasserait l'avance américaine d'ici peu d'années, son optimisme était fondé sur la promesse de Lysenko, aux termes de laquelle les vaches russes pouvaient être amenées à doubler leur production de lait - sans doute par des moyens aussi « scientifiques » que ceux qui devaient transformer les végétaux. Les physiciens qui ont recours aux principes de la relativité, de l'incertitude ou de la complémentarité sont encore exposés au harcèlement idéologique. L'hommage au matérialisme dialectique comme source de toute vraie science reste obligatoire. Mais la science, qui a survécu à la tempête du temps de Staline et Jdanov, ne sera pas abattue aujourd'hui par des formes beaucoup plus douces de contrôle de l'activité intellectuelle. Il convient de souligner qu'en Russie la science, même dans les pires moments, est restée plus libre que· toutes les autres formes de la vie intellectuelle. Comparés aux historiens et sociologues, économistes et écrivains, qui ont vécu en continuel danger, essayant de deviner quelle serait le lendemain la ligne du Parti, récusant aujourd'hui ce qu'ils avaient dit hier, les savants n'ont cessé de bénéficier d'une indépendance relative. Cela rendait les carrières scientifiques particulièrement séduisantes pour ceux qui, dans la jeune génération, voulaient ~vant tout préserver leur liberté. Il est vrai que les contraintes que subissent les savants soviétiques sont bien plus rigoureuses que celles que peuvent connaître leurs collègues occidentaux. Mais si toute comparaison à cet égard est défavorable à l'URSS, il n'empêche qu'à l'intérieur de ses frontières, la recherche 9. Bulletin of Atomic Scientists, août 1952.
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