Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

216 Le pouvoir bolchévik, cependant, ne tarda pas à faire une distinction de principe entre les sciences naturelles d'une part et les humanités et les sciences sociales, de l'autre. Très tôt, le régime se déclara résolu à favoriser par tous les moyens l'essor de la science, estimant que l'essor même de la société communiste dépendait de ce que pouvaient faire les savants pour transformer la vie économique. On offrit donc aux savants de solides avantages matériels et une position sociale -non moins solide. L'adhésion des savants -sollicités, physiciens, biologistes, géologues etc., fut d'autant plus facile qu'elle n'impliquait pas la capitulation morale exigée des historiens, économistes et philosophes. Ainsi, les bolchéviks purent utiliser les savants dont la compétence s'était révélée dans la période pré-révolutionnaire. Pendant longtemps, les postes principaux dans la vie scientifique soviétique furent occupés par des hommes formés sous l'ancien régime - vénérables à tous égards, puisqu'ils exercèrent · bien au-delà de l'âge de la retraite. Durant les quinze premières années du régime communiste, la science continua de se développer dans des conditions relativement favorables, oasis de liberté intellectuelle dans le désert d'un conformisme oppressif. En règle générale, le parti au pouvoir s'abstenait d'intervenir dans le choix des sujets scientifiques ou dans l'interprétation des résultats. Cette liberté, associée à l'encouragement financier et à la considération générale, mena à une expansion rapide de l' éducation scientifique. Le désir accumulé de connaissance, mis à jour par la révolution sociale, remplit les salles de classe et les laboratoires de recherche de jeunes hommes et femmes pleins d'enthousiasme, mais mal préparés, aspirant, comme on disait à l'époque, à mordre au granit de la science. Ce désir de connaître se heurtait à de nombreuses difficultés. Les élèves manquaient d'une 1 formation de base indispensable, et il y avait peu de savants qualifiés pour les former. Beaucoup de savants étaient obligés d'enseigner simultanément dans plusieurs institutions, et donc de courir d'une ville à l'autre. Les livres scientifiques publiés durant cette période étaient surtout des manuels élémentaires, tandis que les publications professionnelles reflétaient souvent le manque de maturité et le provincialisme des esprits récemment formés a~x ~sciplines scien: tifiques. La recherche scientifique fut aussi entravée dans bien des cas par le manque d'instruments de laboratoire les plus simples. Tout cela résultait, en partie, de la pression officielle exercée sur les laboratoires d'université et les instituts de recherche pour qu'ils donnent la preuve de leur « utilité », les exigences étant poussées au point de leur imposer, à un m?ment, de fabriquer non seulement leurs propres instruments scientifiques, mais encore des machines pour l'industrie. . Ces difficultés furent graduellement vaincues, entre 1920 et 1930. L~ rnv~alJ g~ l'~nseignement Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE· COMMUNISTE supérieur fut rétabli, permettant la séleC?on d'étudiants bien doués pour les études scientifiques. Les facultés des sciences se développèrent par un apport d'universitaires compéte~ts. La nécessité d'importer des instruments scientifiques fut réduite par !a ~ré~tion d'une ind?str!e nationale, dont les realisattons furent btentot remarquables. L'une des choses qui• frappent le plus les observateurs · étrangers d'aujourd'hui est la profusion et la quaµté des. ,i1;1struments dont disposent les laboratoires sov1ettques. Le conformisme idéologique MAIS TANDIS que la situation matérielle de la science soviétique s'améliorait rapidement à ces différents point de vue, une autre menace se faisait jour : le conformisme idéologique. Dès les premières années du régime, certaines théories scientifiques, considé~é~s . co~e h~rétiques . du point de vue du matenalism~ d1alecttqu~, av~ent fait l'objet d'attaques, mais celles-et avaient été sporadiques et inefficaces. C'est ainsi que la théorie de la relativité continuait d'être enseignée et utilisée. 1 La situation fut moins heureuse en biologie, cette science étant davantage exposée aux empiétements du dogmatisme marxiste extrascientifique. En fait, ceux qui, sous le règne de Staline, détruisirent la biologie russe, ne firent que prolonger certains courants de pensée qui existaient déjà avant la Révolution. Parmi ces responsables de l'introduction d'un point de vue idéologique dans la biologie, citons Timiriazev, une des personnalités les plus influentes quant à l'évolution scientifique de la Russie moderne. Éminent phytophysiologue, Timiriazev était très en avance sur son temps dans l'application des principes physico-chimiques à la biologie. Mais il fut aussi un des premiers tenants du marxisme et l'un des rares scientifiques réputés qui adhérèrent avec enthousiasme à la révolution bolchévique. Quant il mourut, peu après, il fut vénéré comme l'un des héros de la révolution et, même aujourd'hui, les savants soviétiques n'oseraient admettre qu'une seule de ses théories soit fausse. Par exemple, Timiriazev prétendait que l'absorption maximum dans le spectre de la chlorophylle coïncidait avec l'énergie maximum dans le spectre solaire et tenait cette prétendue coïncidence pour une preuve frappante de l'adaptation darwinienne des organismes au milieu. Dès 1883, Engelmann avait signalé l' erreur de la théorie de Timiriazev, mais tous les traités soviétiques sur ce sujet la saluent encore comme'9'une grande «découverte» et la preuve du génie de son auteur. 1. Voir., au sujet de l'« incompatibilité » entre la théorie de la relativité et le matérialisme dialectique., telle qu'elle apparaît aux idéologues soviétiques., l'étude de Gustave Wetter., S., J.., «Dialectical Materialism and Natural Science»., Soviet Survey (Londres)., janvier-mars 1958., ainsi que l'article de Paul S. ·Epstein., «The Diamat and Mo4ern Science», Bulletin. of Atomic .Scientists (Chicago)1 août 19s2, - ·

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