• 208 dustrie de guerre et ses progrès. Il préférait en outre, à l'armée de Fleurus et à Jourdan, l'armée du nord et Pichegru auquel il était plus lié. Il projetait la conquête de la Hollande et désirait donc grossir les effectifs de Pichegru, quitte à diminuer ceux de Jourdan. Cette entreprise semblait si insensée à Saint-Just qu'il soupçonna Carnot d'être un agent secret de l'Autriche... supposition aberrante. Mais le « complot de l'étranger» avait tourné toutes les têtes, et chacun des chefs de la Révolution doutait si les autres n'étaient pas en collusion avec l'ennemi. Robespierre, vraisemblablement, désirait la paix générale. Et d'abord avec l'Angleterre, sans laquelle - comme on le vit - la paix ne pouvait se rétablir. La conquête de la Hollande lui paraissait d'autant plus folle qu'elle rendait inexpiable la guerre franco-britannique. Il douta si le jusqu'auboutisme de Carnot n'était pas la marque de son austrophobie. Peut-être lui aurait-il pardonné celle-ci, il ne pouvait lui pardonner celui-là. Il craignait le militarisme, les généraux ; les victoires ne lui semblaient pas moins inquiétantes que les défaites, pour la Révolution. Il pensait ·que Carnot avait des contacts secrets avec l'Autriche, Carnot pensait qu'il en avait lui-même avec l'Angleterre. Tous deux, peut-être, avaient • raison. Ses rapports avec Cambon n'étaient pas meilleurs que ses rapports avec Carnot. Cambon, gros acquéreur de biens ecclésiastiques, était hostile à la déchristianisation. D'autre part, il comptait sur le pillage pour combler le gouffre, toujours plus profond, de son déficit budgétaire. Le pillage de la Belgique l'aurait soulagé, il espérait celui de la Hollande. · . L'éclat, entre Robespierre et Carnot, était difficilement évitable. On connaît la scène où Carnot traita Saint-Just et Robespierre de « dictateurs ridicules ». Saint- Just vivait à l'armée de Sambre-etMeuse. Robespierre, lui, décida de ne plus se rendre aux séances du Comité de Salut Public, où il se jugeait mal traité et où il voyait prévaloir une politique qui n'était pas la sienne. Cette retraite sur l'Aventin commença quarante-cinq jours avant le 9 thermidor. La paille était donc rompue. Robespierre voulait en finir avec les« grands spécialistes » qui lui paraissaient incapables de terminer la guerre, avec les « déchristianisateurs » et ultra-révolutionnaires qui lui paraissaient incapables de supporter. le rétaBiblioteca Gino Bianco BICENTENAIRE DE ROBESPIERRE blissement de l'ordre. Il ne voulait plus de Carnot, de Cambon, du Comité de Sûreté Générale, des proconsuls massacreurs comme avaient .été Carrier à Nantes et Fouché à Lyon. L'essentiel était, r de toute évidence, le changement des· Comités. Pour l'obtenir il lui fallait un vote ·de la Convention. A la Convention, il ne pouvait plus compter sur la Montagne : elle était trop affaiblie et divisée depuis le supplice des hébertistes et des dantonistes, et la plupart de ceux que Robespierre voulait abattre en faisaient partie. Au surplus, elle constituait, dans la Convention, une minorité. La majorité appartenait à la Plaine, aux modérés, « crapauds du Marais». ~ Pour- rallier la Plaine, Robespierre, quoi qu'aient dit certains, ne comptait .nullement sur le charme irrésistible de son éloquence,. sur le grand discours qu'il préparait. Il pensait, plus simplement, que les modérés lui donneraient leurs voix, parce qu'il comptait leur demander les · têtes des terroristes qui les torturaient. Les robespierristes - Saint-Just à Strasbourg, Robespierre le Jeune dans ses missions - semblaient reprendre à leur compte la politique de clémence qu'avait réclamée Camille Desmoulins. Saint-Just fait exécuter Schneider à Strasbourg. Robespierre le Jeune fait élargir, en province, un très· grand nombre de prisonniers... Il était difficile de supposer que les modérés refuseraient le châtiment . des noyades de Nantes,. des massacres de Lyon .. Toutefois, Robespierre savait bien que, depuis b·elle lurette, les votes de la Convention étaient rarement libres. La « représentation nationale » gardait un caractère sacré dans le langage et dans l'esprit du temps. Mais les émeutiers parisiens n'en avaient pas moins l'habitude de faire pression sur elle, par leurs cortèges et leurs menaces - depuis le 10 août et le 31· mai. C'était la Commune qui avait contraint la Chambre à mettre les Girondins en accusation, c'était la Commune qui l'avait contrainte à incarcérer Louis XVI. De .même que Robespierre avait besoin de modérés en province - et désirait se gagner les députés de la Plaine par la politique qu'il ferait pratiquer dans· leurs circonscriptions - il avait aussi besoin des extrémistes parisiens, de la Commune, où régnait son agent national Payan, de Hanriot qui commandait la garnison de Paris, de Coff inhal et des fiers-à-bras naguère mobilisés par. les Cordeliers de Chaumette.
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