B. BERL . D'où l'ambiguïté de la politique robespierriste, en 1794. On c~mprend mal que le même homme qui cherche à restaurer la tolérance en matière religieuse, qui institue le culte de l'~tre Suprême - qui trouve la politique financière de Cambon trop dure, qui réprouve Fouché et Carrier - ait, par ailleurs, soutenu et sans doute rédigé les décrets de Prairial qui surexcitent la Terreur et anéantissent à peu près totalement les droits de la défense. 11 est vrai qu'un nommé Ladmiral avait voulu l'assassiner et s'était rabattu sur Collot d'Herbois, qu'il avait d'ailleurs manqué. 11 est vrai qu'on crut, à tort ou a raison, qu'une jeune fille, nommée Cécile Renault, avait voulu renouveler sur lui l'exploit sinistre de Charlotte Corday. Les décrets de Prairial n'en restent pas moins bizarres. Et la meilleure preuve en est que Saint-Just, quand il les connut, ne cacha ni sa surprise, ni sa colère. La contradiction n'est pas moins flagrante entre les « décrets de Ventôse » - quasi communisants - et la politique économique pratiquée après la chute des hébertistes : « assouplissement » du maximum, blocage des salaires, etc. Mais était-il contradictoire, pour Robespierre, de chercher à obtenir des ralliements, à la fois par la séduction et par la contrainte, par la cc modération » et par la cc terreur » ? Est-il contradictoire, quand on veut faire avancer un âne, d'agiter à la fois la carotte et le bâton ? Le but de Robespierre - dans les semaines qui précédèrent le 9 thermidor - n'est pas de faire prévaloir telle ou telle politique, mais de conquérir l'ensemble du pouvoir, de retirer les leviers de commande à ceux qui les détiennent. SI ON SE PLACE du point de vue de la doctrine politique, M. Guillain a raison de réfuter Mathiez, comme Mathiez avait raison de réfuter Aulard, et Aulard Michelet. Mathiez avait tort de vouloir expliquer les actes de Robespierre par le dessein de fonder le socialisme, et Guillain a probablement tort de vouloir les expliquer par le dessein de défendre la bourgeoisie. Quelle bourgeoisie d'ailleurs ? Il y en avait beaucoup, et Guillain dit luimême que Robespierre inquiète celle des grands profiteurs. Biblioteca Gino Bianco 209 Robespierre avait sans doute une doctrine, il y était sans doute attaché passionnément. Mais, quelle qu'elle fût, il ne pouvait pas l'appliquer tant qu'il ne commandait pas les grands organes de l'État, tant que la justice de Fouquier-Tinville, la police d' Amar et de Vadier, les administrateurs financiers de Cambon, le ministère de la Guerre, travaillaient sans lui, et souvent contre lui. Un compromis entre lui et Danton n'était pas impossible ; la preuve en est que, peu d'heures avant sa mise en accusation, Danton déjeunait à la campagne avec Robespierre, et revint à Paris, seul avec lui, dans la même voiture. Le compromis avec Carnot était difficile. Carnot était l'homme de la guerre, Robespierre, l'homme de la paix. Il l'avait toujours été. 11 avait défendu la paix contre les Girondins, il avait même failli y perdre sa popularité. Carnot avait pris l'habitude de ne reconnaître aucun supérieur, d'« organiser la victoire » sans référence à aucun président du Conseil, à aucune majorité parlementaire. 11 ne put jamais accepter la domination de Bonaparte. Comment eût-il accepté celle de Robespierre, qui ne voulait pas les mêmes choses que lui ? Depuis la rébellion du Comité de Sûreté Générale, depuis les menaces injurieuses de Carnot, toutes les pensées politiques de Robespierre ont dû être précédées d'un cc Quand je serai vraiment le maître ... quand je disposerai vraiment du pouvoir ... » 11 est trop clair que, même si à force de souplesse et de bonne volonté réciproque, on était parvenu à mettre d'accord les membres du Comité sur un programme connu, la rivalité des personnes n'en serait pas moins restée irréductible. La cc synarchie » du Comité tendait à la monarchie, comme la cc direction collégiale n du Politburo, à la mort de Staline, comme le Directoire, après la mort de Robes- • pierre. Cette conciliation, Barère, puis Saint-Just l'ont d'ailleurs tentée. Pouvons-nous affirmer qu'elle était impossible, alors que Barère et Saint-Just lui-même ont cru qu'ils allaient réussir à la faire ? Ils ont quand même obtenu que, le 5 thermidor, Robespierre revînt siéger au Comité. Barère, Billaud-Varenne, Saint-Just avaient, semble-t-il, convenu qu'on allait « crever l'abcès », s'expliquer une bonne fois, et tâcher de s'entendre. Quoique aient dit les mémorialistes, après Thermidor, il semble que la séance du Comité
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