Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

198 une société sans État règnera de nouveau, comme forme suprême de l'harmonie sociale. 33 Rappelons en passant les sentiments anarchistes du jeune Richard Wagner, bien connus de tous ses historiographes, encore que la ligne de démarcation entre anarchisme et communisme ne soit pas tracée avec beaucoup de précision. Écrivant de Paris en 1849, le poète révolutionnaii:e tchèque-allemand Alfred Meissner exprime l'opinion que plus la liberté, l'égalité et la frate~- nité sont officiellement proclamées, et plus il apparaît clairement aux masses que ces idéaux, dans les conditions économiques existantes, appartiennent au domaine du rêve et de l'illusion. Cela est surtout évident en France : dans le reste de l'Europe, le problème d'une réforme sociale, moins nettement circonscrit, donne plutôt lieu à un courant d'idées (Drang) et à des aspirations mal définies. 34 Les tisseurs de linceuls L'année 1844 marque un moment décisif en Allemagne par l'attention éveillée autour des questions du paupérisme et de la lutte de classe. Une révolte des tisserands de Silésie, victimes de la concurrence des machines, n'est étouffée que par l'intervention des troupes prussiennes. En Bohème autrichienne se produisent également des troubles, plus aisément circonscrits. Cependant au cours de la même année une vague de sentiments ·humanitaires se répand sur le pays et se manifeste un peu partout par la création de sociétés philantropiques pour le soulagement du sort des pauvres. Il n'est pas jusqu'à FrédéricGuillaume IV de Prusse qui ne caresse un moment le projet d'octroyer aux ouvriers une représentation dans la Diète générale qu'il a l'intention de constituer. En même temps, des personnalités comme Henri Heine (qui jusque là n'avait pris au sort des masses aucun intérêt apparent) s'enflamment à l'idée du pouvoir révolutionnaire que recèle dans son sein la classe des prolétaires. Son poème sur les tisserands de Silésie parle de la domination haïssable d'un « Roi des Riches », et les frères des canuts lyonnais sont représentés comme tissant « ton linceul, ô vieille Allemagne». Dans le courant de la même année paraît un poème révolutionnaire de Freiligrath, « Ceux d'en bas», exaltant la force élémentaire des masses ; il représente le Roi de Prusse glorieusement véhiculé sur le Rhin par un bateau à vapeur ; sous le pont peine le mécanicien, incarnant le prolé"." tariat. Sachant qu'il ne dépend que de lui de faire sauter ·chaudière, navire et le reste, l'ouvrier 33. Max Moser, « Der Fortschrittsgedanke Ludwig Simons », dans Werner Naf, éd., Deutschland und die Schweiz in ihren kulturellen und politi·schen Beziehungen wâhrend der ersten Hiilfte des XIX. Jahrhunderts (Berne, 1936), pp. 12936. 34. Alfred Meissner Revolutioniire Studien aus Paris (1849), pp. 1-5, 261. Biblioteca Gino Bianco ,, LE CONTRAT SOCIAL décide finalement de surseoir à sa colère : « Pas encore aujourd'hui, élément furieux ! » L'enquête d'Engels C'est également en 1844 que Frie~rich_ Engels publie son fameux rapport sur la s1tuat1on des classes laborieuses en Angleterre, ouvrage dans lequel il prédit, de façon quasi catégorique, la Révolution avant dix ans. La prophétie n'est nulle part aussi facile qu'en Grande-Bretagne, écrit-il, et son enquête semble corroborer l'impression mainte fois ressentie à cette époque, d'une décadence matérielle, morale et intellectuelle des masses comme résultat inévitable de la production mécanisée. 35 On ne semble pas réfléchir à la signification d'un fait pourtant curieux : les données citées par Engels proviennent presque entièrement d'informations recueillies et publiées par des observateurs bourgeois et des enquêteurs parlementaires officiels ; une société capable de se tendre à elle-même un miroir si impitoyable n'est-elle pas capable de procéder à des réformes intérieures ? Quoi qu'il en soit, en cette année 1844, Engels s'agite beaucoup en Rhénanie, il en fait le rapport enthousiaste à Marx (qui vit alors à Paris) et vante le succès de sa propagande. C'est ainsi qu'il parle d'un commissaire de police prussien - celui de sa propre ville natale de Barmen - en qui il vient de découvrir un frère d'idées, un communiste ! Dans ses commentaires sur la confusion qui prévaut dans les esprits, Engels exprime une grande assurance : Si le mouvement était libre - dit-il - de s'adresser directement au peuple, il serait déjà maître de la situation. 36 Il est évident qu'Engels n'a encore guère pris contact ·avec la classe ouvrière ; c'est dans la bourgeoisie, parmi les intellectuels et les classes moyennes désorientées qu'il a trouvé au milieu d'une grande confusion mentale cette sensibilité aux idées du • commurusme. Nombre de journaux socialistes et communistes font du jour au lendemain leur apparition, principale~ent en Rhénanie. La plupart sont bientôt supprimés. De cette poussée de champignons après l'orage, il ne reste que la Gazette de Trèves, d'orientation toujours plus communiste, soit que le gouvernement prussien n'ait pas trouvé d'objection à un exposé objectif des théories socialistes, soit que les autorités aient tenu à faire retentir aux oreilles libérales, comme un memento mori, la menace de l'extrême-gauche. La nouvelle cc Grande peur>> Cependant, la crainte des conflits sociaux, des soulèvements de masses et du « comm11nisme » 35. F. Engels, The Condition of the Working Glass in England in 1844 (New York, 1887), p. 198. 36. Lettre d'Engels à Marx en date du 8-10 octobre 1844 dans D. Riazanov, éd., Karl Marx, Friedrich Engels: historiscJ-.- kritische Gesamtausgabe; Werke,- Schriften, Briefe (Francfort, 1927-31), I, pp. 1-3.

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