O. J. HAMMEN est l'objet de divers échos dignes d'attention. En France, Vidal et Dunoyer insistent sur la croyance (très répandue à l'époque) selon laquelle la civilisation est menacée par une nouvelle irruption de « barbares » venant cette fois, non point des « régions polaires », mais des bas-fonds de la société. 37 Commentant le discours du trône prononcé en janvier I 848, Lamartine constate que le peuple français est effrayé au-delà de toute mesure par la menace communiste. 38 Un observateur allemand remarque cependant que pour bon nombre de gens il n'y a rien derrière les groupes communistes que des « spectres dangereux». Or, la nouvelle doctrine, qu'il définit comme l'idée de l'absolue liberté poussée à ses extrêmes conséquences, reflète une aspiration universelle à la transformation de toute la structure sociale ; cette aspiration se combine avec un fervent appel à l'égalité, et la première exigence formulée est l'égalité des biens (Besitz). 39 W. Dieterici - professeur prussien qui dirige alors le bureau des statistiques - déplore de voir la propagande ccmmuniste et socialiste ouvrir un abîme dans la société allemande. De toutes parts, dit-il, on dénonce la domination du capital et les dangers qui en résultent pour les travailleurs; cela est utilisé comme un argument-massue contre l'ordre social et économique existant. 40 Meyendorff, ambassadeur russe à Berlin, dans un rapport sur la fermentation politique en Prusse, exprime des inquiétudes analogues. Il pense qu'une dissolution de la Diète _générale (en 1847) soulèverait les masses, jusque là indifférentes aux débats constitutionnels. Le « paupérisme» et le «communisme» se manifesteraient d~gereusement, et la censure ne suffirait guère à endiguer le torrent. 41 A partir de I 846, la police prussienne se met à flairer partout la menace communiste; les « sociétés ouvrières » sont interdites 42 et au début de I 848 il est annoncé que le gouvernement entend tenir en son pouvoir toutes les associations : derrière les buts « ostensibles » de telles sociétés, peuvent en effet se cacher « le communisme et le socialisme». 43 Commentant les événements qui se déroulaient au pays de Bade, la Gazette de Trèves constate que, cc de plus en plus, s'affirme et se précise dans la conscience publique l'existence de deux classes dont les conflits sont une 37. Dunoyer, op. cit., I, p. 220; Vidal, op. cit., p. 1. 38. Lamartine, La France parlementaire, V, pp. 116-19. [Op. cit., note 25 ci-dessus.] 39. T. Oelckers, Die Bewegung des Socialismus und Communinnus (Leipzig, 1844), pp. 11-13 et 109-111. 40. W. Dieterici, Uber Preussische Zustdnde, über Arbeit und Kapital. Ein politisches Selbstgesprdch, seinen lieben Mitbürgen gewidmet (Berlin et Psen, s. d. [1848]), pp. III et IV. 41. Lettre de Meyendorff à Nesselrod en date du 13 avril 1847, dans Otto Hôtzsch., éd., Piotr von Meyendrorff. Ein ru11ischerDi'plomat an den Ho/en von Berlin und Wien, l !1261861 (Berlin et Leipzig, 1923, 3 vol.), I, p. 379. 42. P. Devinat, ci Le mouvement constitutionnel en Prusse de 1840 à 1848 ", Revue Hi1torique, tome CVIII (Paris, 1911), p. 61. 43. Tri,r1ch, Z,itun,, 23 février 1848. Biblioteca Gino BiancQ 199 impérative et pénible évidence». Pour cet organe, la lutte entre le capital et le prolétariat au xixe siècle est l'équivalent des guerres civiles entre Guelfes et Gibelins. 4 4 Un moment les foudres de Metternich sont suspendues sur le journal allemand de Bruxelles, édité par Bërnstedt, et auquel collaborent Marx et Engels; ce journal a appelé le prolétariat de tous les pays à se joindre aux communistes. 45 Mais les protestations de Metternich, attirant l'attention du gouvernement belge sur la nécessité d'une censure plus rigoureuse, restent vaines. A la veille de la révolution de 1848, de nombreux observateurs allemands soulignent encore l'imminence du danger cc communiste». Joseph von Gërres (l'oracle ultramontain de Munich, exrévolutionnaire et ex-directeur d'un journal libéral en Prusse) a même, le 1er janvier, une vision prophétique: elle lui montre l'année 1848 dominée par les trois têtes de Cerbère : l'Extrêmisme, le Communisme et le Prolétariat. 46 Plus modéré dans ses propos, E. M. Arndt discerne dans la jeune génération cc un ferment de républicanisme communiste qui n'est pas sans danger», tendance qui, si elle accède au pouvoir, déchirera et divisera la patrie. 4 7 Ne nous étonnons donc pas si, recevant les premières nouvelles de la révolution de 1848 à Paris, Metternich y voit se dessiner à grands traits la réalisation d'un plan de subversion permanenj:e auquel Marx n'aurait pu qu'applaudir: le Tiers Etat libéral, selon Metternich, n'est que 1:avant-garde, sacrifiée d'avance, du Quatrième Etat; et le communisme délogera le libéralisme, dès que celui-ci aura accompli sa fonction en ouvrant des brèches dans l'ordre politique existant. 48 Naissance d'un mythe LORSQUE Marx, en I 848, parle du cc spectre du communisme» qui hante l'Europe, il énonce donc un fait vérifiable, au moins quant à la France et à l'Allemagne. 11 existe, au milieu du siècle, des sentiments généralisés de peur ou d'espoir devant la perspective d'un soulèvement des masses - avec, pour issue probable, une réorganisation complète de la société humaine. Pendant les années I 840, le cc communisme » est devenu, dans les cercles révolutionnaires, la théorie sociale par excellence, la formule de plus en plus acceptée des fins ultimes et des perfec44. Ibid., 11 février 1848. 45. Lettre du comte de Woyna au prince de Metternich, 8 février 1848. A. de Ridder, éd., « Un diplomate autrichien à Bruxelles en 1848. Lettres du comte de Woyna », dans Académie royale de Belgique. Commission royale d'histoire, Bulletin, tome LXXXIX (Bruxelles, 1925), pp. 143-44. 46. J. von Gôrres, « Die Aspecten an der Zeitenwende zum neuen Jahre 1848 », dans Marie Gôrres, éd., Gesammelte Schriften (Munich, 1854, 9 vol.), IV, p. 524. 47. Lettre d'Arndt au comte Max von Schwerin, en date du 3 mars 1848, dans F. Jonas, éd., « Aus Arndts Briefen », Preussische Jahrbücher, tome XXXIV (Berlin, 1874), pp. 34, 616. 48. Cité dans Hans Sassmann, Das Reich d,r Traümer : eine Kulturgeschichte Osterreichs vom Urzustand bis •ur Republik (Berlin, 1932), p. 368.
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