Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

L'expérience • communiste MILO VAN DJILAS ET << LA NOUVELLE CLASSE >> par Branko Lazitch BEAUCOUP d'intellectuels occidentaux ex-communistes ont exprimé leurs sentiments ou leurs expériences dans des livres; et de nombreux militants ont de même quitté le Parti ou en ont été chassés. Mais le cas de Djilas est unique en ce sens qu'il est le premier dirigeant d'un État communiste qui ait osé rompre avec le communisme; et cela, non parce qu'il y était obligé, ou y trouvait son intérêt, mais parce qu'il avait choisi, après mûre réflexion, le chemin qui conduisait en prison. Son cas n'est même pas comparable à celui d'Imre Nagy, car l'homme d'État hongrois n'avait résilié son accord avec le communisme soviétique que pour se réclamer du communisme tout court, rester au pouvoir et s'appuyer sur le peuple en révolution. Pour Djilas, il n'avait ni peuple en révolution, . . ' ru pouvoir a conserver pour compenser sa rupture avec le communisme, mais il heurtait, tout seul et de front, le léninisme, le stalinisme, le communismenational et le post-stalinisme. · Édité à New-York en anglais par Frederick A. Praeger et tout récemment traduit en français par André Prudhommeaux (pour la librairie Pion à Paris), le pamphlet politique de Milovan Djilas contre la nouvelle classe dirigeante des pays soviétisés a obtenu, avant même d'être mis dans le commerce, un retentissement considérable. L'homme et son livre méritent certes l'attention. Une vocation contrariée Dès sa prime jeunesse, Djilas nourrissait assez infructueusement des ambitions littéraires ; ses premiers «essais » et ses premières «nouvelles » datent de 1929 et 1930 - alors qu'il n'a pas vingt ans. Plus-tard, il est précipité dans l'action communiste clandestine (il est membre du Comité central à l'âge de 26 ans), et le loisir lui manquant pour écrire, il n'achève qu'un seul manuscrit, celui d'un roman consacré à son pays natal : Biblioteca Gino Bianco • Les Montagnes noires (encore ce manuscrit est-il confisqué par la police lors d'une perquisition domiciliaire). Puis vient la guerre et l'insurrection communiste : Djilas, membre du QG des Partisans, rédige l'organe central du PC yougoslave, ,est promu général, voyage en URSS, rend visite à Staline, entre dans le premier gouvernement de Tito, dirige la campagne électorale de 1945 (la première qui ait été réalisée dans le style des démocraties populaires) - et, de toute cette période mouvementée, recueille les glorieux vestiges dans un livre (publié en 1947 sous le titre : Articles, I94I-I946) qui ne fait en rien prévoir son ouvrage futur . . Cependant, l'année suivante, éclate le conflit Tito-Staline, et Djilas, qui comptait la veille encore parmi les staliniens les plus farouches, se signale au premier rang, dans la critique yougoslave du système soviétique ; qui pis est, il se met à s'interroger sur les dogmes, jusque là demeurés tabous, du socialisme scientifique et du marxisme-léninisme, entrant ainsi en opposition avec ce qu'il appellera plus tard « la Nouvelle Classe ». Enfin, dépossédé du pouvoir, éloigné désormais de la lutte politique, Djilas, âgé de quarante-six ans, réussit à publier son premier livre, au sens véritable du terme, et ce livre lui vaut, avant même d'être lu, une réputation mondiale. Jamais auteur yougoslave, quel que fût le genre ou le domaine abordé, n'avait obtenu une telle audience, ni provoqué par son œuvre un tel retentissement; et la chose est d'autant plus remarquable qu'il s'agit d'un écrit de pure doctrine p()litique. S'il n'avait eu en vue que l'effet sensationnel, Djilas n'aurait certes pas traité en «théoricien», donc en termes abstraits et généraux, le thème de la nouvelle classe dirigeante. Pour réussir un coup d'éclat, il lui aurait suffi de mettre au grand jour, avec l'envers scandaleux d'un décor, toutes les tractations secrètes auxquelles il s'était trouvé mêlé, soit avec Staline, soit avec Tito ; il en serait •

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==