Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

L. EMBRY Par contre, une brèche redoutable s'ouvre dans l'enceinte de la cité ~n 1936 quand les staliniens font entrer à la Chambre un groupe compact de 72 députés et s'emparent de la direction des syndicats. Engagée et conduite dans les pires conditions, la seconde guerre mondiale aboutit d'abord à la plus humiliante faillite. Née du désastre, une tragique scission fit paraître en une clarté cruelle des contradictions qui formaient déjà le fond de notre vie politique. La France de l'armistice, ralliée d'abord presque tout entière autour de celui qui avait « arrêté le combat », se vit promettre une révolution nationale réduite en fait à une débile dictature oligarchique, divisée contre elle-même, vouée à sa perte par la continuation du conflit et les croissantes sujétions qui pesaient sur elle ; l'idée d'une restauration traditionnelle et raisonnable périt avec elle. Mais la France gaulliste, condamnée à ramasser toutes les armes pour mener son grand combat, dut recommander la désobéissance, le complot permanent, le sabotage, pousser à la dissolution complète de l'État, ouvrir les bras aux communistes dont elle reconnut ou feignit de reconnaître qu'ils avaient été de valeureux patriotes et d'authentiques libérateurs. En 1918, les Français estimaient à bon droit qu'ils avaient joué dans l'immense drame un rôle des plus honorables ; personne ne discutait la Marne ni Verdun. D'autre part le monde demeurait concevable en fonction des normes _ habituelles et bien peu de gens comprenaient qu'on était entré dans une nouvelle ère. La victoire de 1945, pour enivrante qu'elle fût sous certains rapports, paraissait équivoque et trouble. Née d'une formidable conjonction de forces, parmi lesquelles la Résistance française ne comptait que bien peu, elle apportait libération et revanche, mais aussi la pénurie, l'étroite dépendance économique et financière - les séquelles d'une guerre civile greffée sur la guerre étrangère, les persistantes divisions morales, l'irrémédiable ébranlement de l'empire, une subversion sociale dont on s'accoutumait à penser qu'elle conduirait fatalement à la bolchévisation. Qu'était-ce que tout cela sinon, sous le voile des discours et des fanfares, l'obscure prise de conscience d'un fait tragique, d'un déclassement, d'une décadence qui postulait une lourde défaite? L'aigreur des réactions françaises à l'égard du sort et des alliés, la manie récriminante et revendicative, le goût amer des jérémiades, la fièvre, l'indolence, tous ces traits s'expliquent par le sentiment d'avoir subi une étrange injustice, participé à une déplorable duperie. Aujourd'hui, après douze ans d'une expérience incroyablement confuse, on peut assurément se flatter Biblioteca Gino Bianco 219 d'avoir évité le pire et même étayé quelques pans de mur, mais on voit que tout est précaire, que la machine politique est hors d'usage, que la manière dont fut perdu le Viet-Nam représente un condensé de toutes les erreurs et de toutes les impuissances, que le risque grandit en Afrique et qu'on danse ou bavarde parmi des décombres.Si ce n'est pas là une figure classique de la décadence, les mots et l'histoire n'ont plus de signification. A la lumière de ces événements, et dans la perspective qu'ils suggèrent, nous pouvons mieux juger des critères objectifs par lesquels on résume la situation présente de la France. Qu'on allègue tant qu'on voudra ses déficiences économiques et techniques, qu'on nous montre l'Empire d'hier en voie de démembrement, nous n'en . , , . . . . serions pas exagerement 1nqu1ets s1nous sentions à l' œuvre une volonté commune capable d'imposer des solutions conçues à l'échelle des lancinantes difficultés ; il n'est de faiblesses mortelles que celles qui affectent le cœur et le cerveau. Toynbee ne fait que rafraîchir une vue aussi vieille que le monde lorsqu'il ramène l'agonie d'une civilisation ou d'une nation au funeste divorce qui se crée entre une élite indigne de sa mission et des masses hostiles ou sceptiques disposées à l'abandon ou à l'aventure; cela revient à dire que le sort d'une armée ne fait pas question lorsque les chefs manquent de compétence et les soldats de confiance. Force est bien d'admettre que cette optique ne nous dicte pas au sujet de l'avenir français des conclusions très encourageantes. Non que l'i11telligence, l'habileté, le talent même fassent défaut aux élites qui en ont charge, mais on ne dira jamais assez à quel point la sagesse politique et l'autorité qui en découle diffèrent de la virtuosité spéculative ou verbale. Le bon sens des AngloSaxons est un guide faillible, beaucoup moins faillible pourtant que la fureur idéologique ; ce qui définit le mieux l'intelligentsia parisienne, donnant le ton au pays tout entier, c'est bien décidément le terme de byzantinisme. Il désigne comme on sait la futile complication des thèses, l'acharnement à contester pour contester, l'art de sacrifier constamment la forêt à l'arbre, un étonnant complexe de fanatisme et de nihilisme. Il se peut que les cénacles de la capitale soient en tous domaines, comme ils s'en flattent, les plus brillants du monde ; mais qu'y a-t-il d'utile et de sain dans le tourbillon des paradoxes qu'ils produisent? Il est beau de vouloir recueillir la succession d'Athènes ; encore faudrait-il ne pas prendre pour modèle celle des sophistes et des démagogues ... On entend bien qu'à des dirigeants formés ou déformés par ce faux luxe de l'esprit -

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